OPÉRA – En ouverture de sa saison lyrique, l’Opéra de Lyon propose la création locale de l’opéra tentaculaire de Richard Strauss : La Femme sans Ombre, sur un livret ésotérique de Hugo von Hofmannsthal.
Vue globale : Sortir de l’ombre
Afin de pouvoir représenter La Femme sans Ombre de Richard Strauss dans les meilleurs conditions possibles et compte-tenu des contraintes imposées par les limites de la salle et de la fosse d’orchestre, l’Opéra de Lyon a choisi de retenir l’adaptation orchestrale pour 70 musiciens réalisée par Leonard Eröd, spécialiste en la matière. Cette version a le grand mérite de conserver presque intacte la majeure partie de la luxuriance de la partition et surtout la multiplicité des couleurs orchestrales sans les dénaturer. Seules les notes d’attaque de l’ouvrage, quelque peu rêches, demanderaient à être modifiées, l’entrée en matière perdant un peu de sa force.
L’orchestre au zénith
Placé à la tête de son orchestre et des chœurs de l’Opéra, Daniele Rustioni livre une lecture enfiévrée, puissante, explorant avec virtuosité tous les méandres de la partition fleuve de Richard Strauss et d’une rare exigence vocale. Les interventions magnifiques et lumineuses du premier violon de l’orchestre (Nicolas Gourbeix) et du violoncelle solo (Ewa Miecznikowska) sont par ailleurs grandement à souligner tant elles parviennent à surligner les aspects poétiques de la musique.
Le metteur en scène Mariuzs Trelinski se détache quelque peu de l’aspect intemporel de l’ouvrage pour se positionner, comme beaucoup d’autres aujourd’hui, sur un terrain plus actuel. Le désir d’enfants marque entre autres les personnages de l’Impératrice, ici dépressive et soumise à sa fielleuse Nourrice, et de la Teinturière, femme frustrée et agressive. Deux mondes se révèlent au spectateur via une scène tournante montrant tour à tour, la chambre de l’Impératrice, d’un chic certain et pourtant glaciale. Elle s’ouvre sur une superbe forêt de palmiers, et l’intérieur grossier de La Teinturière, avec ses meubles cabossés et usés.
Les feux de la rampe
Marius Trelinski est en premier lieu un cinéaste : les évocations cinématographiques ne manquent pas. Ainsi, il met parfaitement en relief le personnage fort ambigu de la Nourrice qui ressemble à s’y méprendre à la terrifiante gouvernante Madame Denvers du film Rebecca d’Alfred Hitchcock. Des personnages fascinants paraissent en scène comme le double du Faucon, sorte de femme oiseau au comportement fébrile et à l’étrange costume aux mains acérées ou la vision du jeune homme tentateur revêtu de paillettes dorées et se déhanchant sans vergogne. Le travail de Mariuzs Trelinski apporte une lisibilité certaine à l’ouvrage et facilite sa compréhension pour un public peut-être éloigné du texte complexe d’Hugo von Hofmannsthal.
Point par point : la voie clarté
- Dominant la distribution vocale par sa classe et sa présence confondante, la mezzo-soprano Lindsay Ammann incarne la Nourrice avec les toutes les ressources d’une voix aux graves abyssaux et d’un ambitus surprenant, bousculant le public par des aigus dardés et glaçants de férocité.
- Dotée de grands moyens solides, impressionnants mêmes, la soprano Sara Jakubiak avec des aigus majestueux rend pleinement justice au rôle de l’Impératrice. Dans son redoutable air d’entrée un peu forcé toutefois, il lui manque la souplesse alors requise et cette part de mystère qui entoure le personnage.
- Ambur Braid ne fait qu’une bouchée du rôle de La Teinturière avec une force dramatique peu commune mise au service d’une voix franche et d’une largeur idéale. L’Empereur de Vincent Wolfsteiner peut alors paraître plus prosaïque tant au plan scénique que vocal, même s’il parvient à donner corps à sa partie sans la transcender.
- Le Barak de Joseph Wagner bouleverse par son humanité et son amour inconditionnel pour son épouse pourtant revêche. La voix du baryton-basse révèle un légato de grande classe et une largeur vocale qui sous-tend constamment ce personnage attachant.
Tous les autres interprètes de cette Femme sans Ombre, la plupart membres du Lyon Opéra Studio, apparaissent à l’unisson de cette distribution de haut vol. Le spectacle, au-delà sa longueur même, a reçu un accueil franc et enthousiaste de la part du public de l’Opéra de Lyon.