COMPTE-RENDU – Le Théâtre des Champs-Élysées accueille le pianiste Evgeny Kissin et l’Orchestre national de France, dirigé par Cristian Măcelaru, pour interpréter Rachmaninov et Prokofiev.
Ze place to be
« Le Concerto n°3 de Rachmaninov par Kissin, je dirai plus tard à mes enfants : j’y étais ! » s’exclame un spectateur, alors que retentit la cloche annonçant le début imminent du concert. Découvrant le pianiste entrer sur scène, saluer avec raideur, le public retient son souffle… L’Orchestre national de France entame alors le premier mouvement de l’œuvre et, peu après, le piano le rejoint. D’emblée, Kissin impressionne par le naturel avec lequel il exploite toutes les dimensions de l’instrument, qu’il comprend comme une partie de lui-même.
Pourtant, la fluidité et la clarté sont difficiles à gagner et pendant tout le premier mouvement, Kissin, plutôt que d’exprimer quelque chose dans son jeu, semble déterminé à pénétrer dans la musique de Rachmaninov, quitte à sacrifier au tempo (les musiciens peinant parfois à le suivre) et à quelques nuances pour poursuivre sa recherche effrénée, dont l’acmé est atteinte dans une cadence solo où culmine la tension, pétrifiant le public, heureusement ramené sur terre par le retour de la flûte. Le jeu se poursuit, toujours inquiet, mais gagnant petit à petit en lumière, en aisance, comme si Kissin avait enfin trouvé ce qu’il cherchait dans la musique.
Les émotions se transforment alors en notes, plus distinctes, et s’achèvent dans une sorte de retour à la vie du pianiste, en harmonie avec l’orchestre. Le Concerto terminé, les applaudissements retentissent dans toute la salle (quoique tous les spectateurs ne semblent pas unanimes) et Kissin revient plusieurs fois pour saluer et reprendre, en bis, deux valses de Tchaïkovski et Chopin. Après quoi il laissera la place à l’orchestre.
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Prokofiev vainqueur
Après l’entracte, le public quitte les États-Unis de 1909, où a été composé le Concerto n°3, pour la Russie de 1945 et l’exaltation, par Prokofiev, de la victoire soviétique contre les Allemands. Tout de suite, c’est la générosité dans l’interprétation de Măcelaru qui frappe, et l’amplitude qu’il laisse aux passages tempétueux de la symphonie – n’hésitant pas, toutefois, à surligner également les moments plus sourds, dégageant toujours de la musique une sensation de puissance et d’énergie, quitte à appuyer sur la tension dramatique. Celle-ci est entretenue par un orchestre à l’engagement total, éclatant dans la vigueur et la force qu’il donne à la musique, allant jusqu’à en faire vibrer la salle. La précision, elle, est moins présente, mais cela n’empêche pas, encore une fois, les spectateurs de faire ressurgir la puissance triomphale de la symphonie dans leurs applaudissements emportés.
Enfin, le public abandonne les rivages de la musique russe pour s’engouffrer dans le froid français, quoique les premières notes du Concerto de Rachmaninov demeurent dans tous les esprits, fredonnées par nombre de spectateurs à la sortie…