CONCERT – Si Wilhem Latchoumia est établi à Strasbourg, enseigne en Suisse et se fait l’interprète fidèle de John Cage ou encore Pierre Boulez, la figure d’Heitor Villa-Lobos l’accompagne depuis ses jeunes années (album Impressões, dédié à la musique d’Amérique du Sud en 2008 sous label Sony et, tout récemment Do Brasil, publié par La Dolce Vita). Lors de son récital à la Philharmonie de Paris, le 11 novembre dernier, il le faisait rencontrer les Espagnols Manuel de Falla et Federico Mompou.
Dans le labyrinthe de La Philharmonie
Dans une salle comble de 200 places, le presque introuvable « studio » de la Philharmonie, Wilhem Latchoumia réunit un public de tous styles, âges et horizons pour un programme « latin » de la première moitié du 20e siècle. Une dimension créole indéniable nourrit l’œuvre de Heitor Villa-Lobos, évidente dans les Chôros n° 5 et Cirandas (rondes et comptines brésiliennes) que comporte ce récital, mais on y entend aussi, entre autres influences, celles de Debussy et Bartók.
Pourquoi le Brésil ?
Le programme de salle précise que le compositeur brésilien, qui aimait à composer dans le bruit des cafés de Rio de Janeiro, a peu écrit pour le piano. Ma foi, on saura bien se contenter de ces quelques opus magnifiés par un interprète de très grand talent. Oublions les Bachianas Brasileiras, les concertos, préludes et études pour guitare qui, il faut bien le reconnaître, sonnent diablement bien : par leurs « pianismes », les vingt minutes du virtuose et sidérant Rudepoêma (1926) dédié à Arthur Rubinstein, à la fin du récital, rappellent assez souvent l’écriture d’Olivier Messiaen dans les Vingt Regards sur l’Enfant Jésus (1944). À vrai dire, la verve jubilatoire et la solidité de la facture de Wilhem Latchoumia font honneur à cette musique, hélas tout au plus une succession de vignettes, mi-dansantes, mi-dissonantes, aux entournures folkloriques séduisantes. Latinité n’est pas (toujours) garante de qualité ! Fort heureusement, le pianiste sait mettre en lumière toute la modernité de ces renversantes pages pianistiques.
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Retour au bercail
Nous connaissions en Wilhem Latchoumia un interprète de John Cage et de Bach ; sa personnalité correspond si bien à ce répertoire ! Non pas un virtuose de salon, mais un artiste réfléchi, posé, à l’étude – ô combien sensible. Il ne recherche pas la distance analytique tel un Maurizio Pollini ou un Pierre-Laurent Aimard (lequel fait partie de ses maîtres, tout comme Claude Helffer et Yvonne Loriod-Messiaen). Notre Glenn Gould national, au visage doux et presque enfantin qu’il colle au clavier et à ses mains massives tout en chantonnant, associe à la grande rigueur de son jeu une intériorité chaleureuse et une émotivité à fleur de peau, qualités nécessaires pour mettre en valeur l’art plus consistant d’El Amor brujo [L’Amour sorcier]de Manuel de Falla et les Scènes d’enfants du Catalan Frederico Mompou.
On nous glisse à l’oreille qu’un recueil d’entretiens du pianiste avec Philippe Olivier est sorti, avec une préface signée Jacques Toubon.