CONCERT – Après un concert d’ouverture de saison festif et léger, place aux choses sérieuses pour Joseph Swensen et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Deuxième programme avec leur futur directeur musical, premier choc pour le public, grâce à une 5ème de Beethoven foudroyante. Un concert qui fera date dans l’histoire qui unit les musiciens avec Joseph Swensen.
Avez-vous déjà entendu, une fois dans votre vie, le premier mouvement du concerto pour violon de Mendelssohn ? Oui, sans doute, si comme nous vous avez une grand-mère qui vous laissait fouiller dans ses vieux disques. Si ce n’est pas le cas, vous êtes de sacrés veinards : vous avez une rencontre à faire. Puissiez-vous, écoute après écoute, vivre une histoire de passion que le temps renforcera et vous émouvoir chaque fois un peu plus de l’humanité écorchée du thème introductif, celle d’un Félix Mendelssohn qui se situe à l’exact point de rencontre du génie musical et de la vie fragile.
C’est avec la promesse de retrouver un vieil ami que l’affiche du concert Romantismes nous a attiré. Bien plus qu’une éternelle 5ème de Beethoven dont les quatre coups sonnent aujourd’hui plus souvent l’heure de la soupe que celle des héros. Chef-d’œuvre épuisé par le “trop jouer”, génie amoché par des programmations plus soucieuses de remplir que de découvrir.
Ça, c’était sur le papier. Mais la musique, ce n’est pas du papier : c’est de la vie, c’est du corps et du savoir-faire. Le raisonnement du spectateur, anticipant son mercredi soir en scrollant le site de l’Opéra National de Bordeaux, oubliait une donnée absolument incontournable : les interprètes, capables à la fois de sublimer et de détruire, de colorer et d’affadir. Ce soir à l’auditorium, les interprètes ont renversé la table.
Du violon, et c’est bien tout
L’attente passionné du Concerto de Mendelssohn et la lassitude de l’éternelle 5ème de Beethoven a été symétriquement opposée à la réalité du concert. Hina Maeda, violoniste japonaise de 21 ans, présente sur la scène à la faveur d’une tournée de concerts que sa victoire au 16ème Concours international de violon Henryk Wieniawski a permise, est la définition parfaitement télévisuelle du prodige. Un talent poussé au bout se son perfectionnement technique par une formation précoce et des concours à la chaîne, à qui on ne demande rien d’autre que d’exécuter sans faute. Et ça, elle l’a fait ! Elle a joué toutes les notes, sans un accroc, fait entendre tout ce qui était écrit sur le papier… mais a oublié tout le reste. Pas une fois le violon ne s’est trompé, mais pas une fois il n’a pleuré. Pas une fois il n’est sorti de lui-même. C’est là qu’est l’os : on ne joue pas le Concerto de Mendelssohn qu’avec un violon. Son cœur, ses tripes, son histoire, appelez ça comme vous voulez : c’est en tout cas quelque chose qu’on n’apprend pas à l’école…
Beethoven, par Joseph Swensen
Peut-être Hina Maeda devrait-elle s’inspirer de celui qui, à sa gauche, conduisait l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine ? Joseph Swensen – aucun des spectateurs présents ce soir ne pourra le nier – est possédé par la musique, impliqué de tout son être dans ce qui se déroule devant lui. Il est à la fois complètement transporté par Beethoven et en même temps totalement présent à ses musiciens. Il les appelle ses “collègues”, et on comprend tout de suite pourquoi : à la fin du concert, il reste campé au milieu des cordes et tarde à venir saluer seul dans la lumière. Joseph Swensen, c’est le genre de chef qui n’a pas besoin de récolter les lauriers après le concert, parce que c’est pendant qu’il brille.
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On pensait avoir tout entendu de la 5ème de Beethoven, et voilà qu’il nous sort un troisième mouvement d’une ampleur et d’un contraste à faire passer l’appareil photo du nouvel Iphone pour un dessin de garderie. Les deux dernières minutes dudit mouvement sont d’un pianissimo étouffant, tenu à la force du poignet par un Swensen qui ne lâche rien à ses cordes pour laisser passer le hautbois, et le reste. Une tension construite de croche en croche qui explose en une mesure (soit à peu près 3 secondes), dans un déferlement de cuivres et de vibrato qui foudroie les derniers instants de la symphonie. On est collé à son siège, captivés par cette déclaration d’amour à l’orchestre et à ses capacités infinies que Joseph Swensen explore encore. Les musiciens de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine n’ont aucune envie de cacher la joie qui les habite à la fin du concert. Dans leur futur directeur artistique, ils ont trouvé un chef qui les fait vibrer, et nous avec !