CONCERT – A l’occasion du festival Indialogue organisé par les villes de Gand et Louvain, le centre culturel bruxellois BOZAR accueille exceptionnellement l’ensemble 49 Strings pour une parenthèse musicale aux allures ayurvédiques.
Cinq éminents musiciens d’Inde et d’Europe pour cinq opus musicaux, servis par 49 cordes au total : Cette performance se met au service d’une fusion novatrice et hybride, le programme étant partagé entre des airs typiques du nord de l’Inde et de l’État du Rajasthan (Râga, compositions fondées sur l’art subtil de l’improvisation). Respectant la tradition musicale chantée et jouée depuis des siècles, chaque morceau devient une création, avec sa touche de modernité.
Raga all-stars
L’ensemble 49 Strings représente une convergence sans précédent entre des instruments traditionnels indiens et des instruments classiques occidentaux. Cette performance est le fruit de la collaboration de la néerlandaise Saskia Rao De Haas (violoncelle et violoncelle indien), Ambi Subramaniam (violon Hindustani, violon européen), Dara Khan Manginiyar (kamaicha), Ikhlas Khan Langa (sarangi) et Latif Khan Manganiyar (dholak, percussions).
Début novembre, Bozar invitait son public à la traditionnelle Sufi Night, mettant à l’honneur la culture soufi de Mayotte et de Syrie. C’est au tour de l’Inde et du Rajasthan de teinter ce bâtiment Art déco d’une nouvelle couleur.
A mi-chemin des rythme effrénés de Philip Glass et de la mystique modale hindou, 49 Strings offre au public belge un extrait de qualité du festival Indialogue. Se tenant tous les deux ans à Gand et Louvain, le festival se focalise sur la communication et les échanges avec le monde artistique indien : quatre jours d’intensité créative entre danse, musique et cinéma. Organisé par Maghenta et India House Leuven, Indialogue vise à promouvoir un dialogue stimulant et novateur entre les arts du spectacle contemporains et traditionnels.
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Râga-rds croisés
Saskia Rao-de Haas a découvert l’Inde à travers sa passion pour la musique classique du pays. Son cheminement musical l’a conduite des Pays-Bas jusqu’à Delhi, où elle a su fusionner son amour pour le violoncelle italien avec la musique hindoustanie. Réalisant rapidement que le violoncelle traditionnel n’était pas adapté à la position assise au sol, une collaboration avec le luthier Eduard van Tongeren a permis de donner naissance à un violoncelle idoine. En s’appuyant sur l’influence de gourous tels que Pandit Hari Prasad Chaurasia et Pandit Ravi Shankar, Saskia Rao-de Haas a entrepris la délicate indianisation de son instrument occidental, défiant les normes musicales établies.
Transformer un instrument occidental pour l’adapter à des traditions musicales indiennes est un défi complexe. Perçue comme une innovatrice par ses auditeurs et parfois perçue comme une « rebelle » par certains de ses pairs, Saskia Rao-de Haas n’a pas su décrocher de sa passion qui a débuté en 1999. Vivant à Delhi, la musicienne est unie au musicien sitariste et compositeur Pandit Shubhendra Rao, avec qui elle se produit régulièrement. Figure musicale hybride, d’un calme bienveillant, Saskia Rao-de Haas tente d’élargir la culture musicale aux plus jeunes. En 2014, elle a lancé le programme Sangeet4All, « le premier programme de musique indienne destiné aux jeunes apprentis », visant à rendre la musique classique accessible à tous.
Ambi Subramaniam
Figure exemplaire de l’universalité de la musique indienne, Ambi Subramaniam s’accorde également la modernisation de la musique indienne. Né à Los Angeles de parents musiciens, il rejoint par la suite l’Inde à 5 ans où on l’acclamait comme un enfant prodige. Reconnu par le Times of India comme une étoile montante du violon classique indien (« the new king of Indian classical violin » ), le violoniste accumule les projets tout aussi pluridisciplinaires que ceux de Saskia Rao-de Haas.
Le Râga : art de l’improvisation
Le râga débute par l’âlâp, une longue introduction menée par le soliste afin d’annoncer le mode musical qui suivra, rejoint par un échange entre les solistes et le percussionniste. Chacun improvise à tour de rôle : pendant que l’un interprète le refrain, l’autre se lance dans une exploration libre. Pendant que l’un dessine le schéma rythmique, l’autre s’y promène librement. Chacun guide l’autre : échanges de regards complices, sourires fréquents et signes discrets témoignent d’une complicité particulièrement bienveillante.
Tenant la cérémonie en tête, Ambi Subramaniam et Saskia Rao-de Haas réussissent à s’accorder en leaders. La violoncelliste tient les graves avec une belle amplitude et une certaine modernité de son. Frôlant parfois des graves électriques et un vibrato profond, la tenue de l’archer du violon indien pour Ambi Subramaniam se présente plus claire, versatile et véloce. Plaçant l’écoute entre la tête et le cœur, il est difficile pour le public de résister à la musique qui s’offre, architecturale, en plusieurs niveaux d’écoutes.
Différentes portes d’entrée sont ici proposées, la musique hybride touchant à la fois des compositions purement traditionnelles, certaines répétitions sombres et modales de la musique métal, des percutions sur le dholak qui ajoutent un rythme sec et puissant, et enfin la voix de Latif Khan Manganiyar, qui trouve réponse en celle de Dara Khan Manginiyar et son Kamancha.
Musique de vibration sanguine, le râga s’impose comme une musique de l’espace, étirant le temps par aspiration longue et suspendues. Tirant son auditoire à l’écoute absolue, l’ensemble 49 strings réussit à offrir en deux heures de temps une capsule culturelle totale. Calme et nourri, l’auditoire peut ainsi savourer un retour chez soi, soigné par le talent des cinq musiciens.