DANSE – Retrouvailles au sommet de deux monstres sacrés de la scène américaine : la chorégraphe Lucinda Childs et le metteur en scène Robert Wilson à la grande Halle de la Villette. À eux deux, ils réinventent totalement un de leurs chefs-d’œuvre : Relative Calm. Une œuvre hypnotique qui revient en grande pompe quarante ans après sa création.
Vieux amis
Leur collaboration fructueuse a commencé en 1976 avec l’opéra Einstein on the Beach, sur la musique de Philip Glass. Un opéra de cinq heures, devenu mythique avec le temps, qui voit notamment la possibilité donnée au public d’entrer et sortir à sa guise. Cinq ans plus tard, en 1981, ils récidivent et créent ensemble Relative Calm, un ballet conçu sur une musique de Jon Gibson. Aujourd’hui, les deux resplendissant octogénaires revisitent ce ballet mythique et en font trois actes, dont un acte inédit sur les musiques de Jon Gibson, Igor Stravinsky et John Adams avec entre chaque tableau une lecture du journal de Nijinski par Lucinda Childs. Ils ont toujours autant de plaisir de travailler ensemble comme l’explique la chorégraphe : « Nous parlons la même langue et nous n’avons pas besoin de parler tant que ça : nous nous comprenons parfaitement et saisissons parfaitement la forme artistique »

Calme relatif, équilibre fragile
De la pièce originelle ne subsiste qu’une section de la musique de Jon Gibson et la chorégraphie de Lucinda Childs. Tout a été revu ou presque au niveau de la mise scène : lumières, décors, costumes. Malgré tout, ils ont choisi de garder le titre car il est tout à fait dans l’ère du temps. Le « calme relatif » est une expression utilisée par les journalistes de guerre quand il y a une pause dans le conflit et que tout peut basculer d’un moment à un autre. Pour Lucinda Childs, l’expression est fascinante parce que très ambiguë : « Et elle l’est d’autant plus aujourd’hui, où nous n’avons aucune idée de ce qui va se passer d’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre. Tout est très fragile. » Mais ce titre fait aussi référence au confinement et à ce calme relatif qui régnait pendant la pandémie.
Trois tableaux – Trois ambiances
Le premier tableau est issu de la pièce originelle : douze danseurs et danseuses de la compagnie MP3 Danse Project se meuvent géométriquement dans l’espace pendant que des lignes blanches se dessinent et s’accumulent sur l’écran vidéo derrière. La mise en scène est épurée sur une musique Jon Gibson. Les gestes sont classiques, se répètent à l’infini et passent d’un couple à un autre avec une fluidité magnifique.
Le deuxième tableau est complètement novateur et c’est de loin le plus magistral. On reconnaît la patte de Wilson et c’est un clin d’œil évident à l’une de ses autres pièces : Mary said what she said. Il met en danse Pulcinella Suite d’Igor Stravinsky sous une lumière blanche, bleue et rouge. Ça commence par trois danseurs, dont une reine à collerette habillée de noir au milieu et deux serviteurs de part et d’autre revêtus de rouge. Les mouvements sont au ralenti et s’arrêtent le temps de capter l’image. Un œil se dessine avec des couleurs rouges sur l’écran vidéo derrière, référence à un dessin de Nijinski, où hospitalisé il dessinait des yeux car il avait le sentiment que les gens l’espionnaient.

Le troisième tableau est issu du spectacle de John Adams Available Light – quel est la lumière disponible ? Une lumière synonyme de clarté où onze danseurs répètent des gestes en boucle (arabesques, jetés, déboulés …) sans jamais se toucher et tournoient comme de petites étoiles avec des lunes blanches et des soleils rouges qui s’éclairent sur l’écran derrière. Tout comme les autres tableaux, tout est question de géométrie et de mathématique mais surtout de concentration pour les danseurs qui forment une constellation parfaite.
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Nijinski intime
Entre chaque tableau, Lucinda, magistrale comme une reine à 80 ans, lit des extraits du journal de Nijinski écrits en 1919 à la fin de sa vie où il scande cette phrase : « Je suis Nijinski. Je ne suis pas le Christ ». Elle répète une fois en Anglais, puis en Français et encore une fois en Anglais, pour que les paroles s’imprègnent chez le spectateur, permettant une plongée dans les pensées sombres et les angoisses de Nijinski. Lors du premier intermède, la vidéo projette un léopard qui court au ralenti, et dans le second des buffles en colère qui détruisent tout sur leur passage.

Comme l’a si bien résumé, Robert Wilson « Relative Calm est faite de musique et de danse mais aussi de tout le vocabulaire de théâtre, maquillage, lumière, costume. ». Nous sommes heureux de redécouvrir cette pièce magnifiée, où tout est question de géométrie et de répétition, bref des boucles de danse magnifique. La boucle est bouclée et on en ressort complètement hypnotisé.