CONCERT – Suite au désistement de Tugan Sokhiev et Maria Joao Pires, les jeunes talents Elias Grandy à la direction et Mao Fujita au piano donnent avec l’Orchestre National du Capitole, un concert magistral consacré à deux monuments du Romantisme Allemand.
Les nouvelles stars sortent du banc
Le « testament d’Orphée » était un des concerts les plus attendus de la saison symphonique toulousaine à tel point qu’il était programmé sur deux dates, chose plutôt rare à la Halle aux Grains. Deux grandes figures devaient être présentes : l’ancien directeur musical de la maison Tugan Sokhiev et Maria Joao Pires, qui compte parmi les pianistes les plus prestigieuses de ce monde et noue une relation assez suivie avec la ville rose, pour y venir assez régulièrement en récital (dans le cadre de la saison des grands interprètes). On savait la santé de la pianiste assez fragile, elle avait notamment dû annuler pour ce motif des concerts cet été et renoncer à une tournée en Amérique latine cet automne. Son forfait n’était qu’une demi-surprise. Quant à Tugan Sokhiev, il aurait selon la Dépêche du Midi, attrapé un virus le forçant pour trois semaines à annuler ce concert ainsi que d’autres dates en Europe. Remplacer ces deux monuments n’était pas une mince affaire, mais fort heureusement l’administration de l’Orchestre du Capitole s’est démenée pour trouver deux jeunes talents à la hauteur : le pianiste japonais Mao Fujita et le chef allemand Elias Grandy. Ils proposent le programme de tubes prévus initialement : le Concerto pour piano n°4 de Beethoven et la Symphonie n°4 de Brahms. Un choix consensuel qui couvre l’aube et l’apogée du romantisme allemand.
La caresse de Mao Fujita
L’orchestre, dirigé par Elias Grandy interprète les deux œuvres de façon bien distinctes. Alors qu’il donne au concerto une délicatesse et une douceur subtile, parfois à la limite de la discrétion, il confère au contraire à la symphonie vigueur, puissance et énergie. Cela commence tout d’abord par Mao Fujita qui caresse les touches du piano avant de jouer ses premières notes pianissimo. Il est de près suivi par l’orchestre qui amorce un crescendo efficace par paliers progressifs. Le chef porte une attention particulière au jeu du pianiste dont il reprend les tempi. L’accompagnement notamment par les bois seuls au premier mouvement affirment la poésie de la partition. Les musiciens jouent particulièrement avec les faibles volumes imposant un silence total dans la salle pour maximiser l’attention du public. Les tempi sont assez lents, renforçant la force des silences entre les notes du pianiste, confirmant ce que disait Jean Starobinski : « Les vrais musiciens, par la manière dont ils attaquent le silence, le rendent plus profond. » L’interprétation de l’orchestre est globalement très fluide, s’inscrivant dans une lecture romantique de l’œuvre au détriment peut-être cependant de la netteté de certains motifs légèrement flottants dans le premier mouvement.
À lire également : Toulouse en Ligue des Champions !
Elias Grandy : Brahms électrique
Les élans de l’orchestre contrastent la tulle délicate de l’interprétation de Mao Fujita au troisième mouvement, et préfigurent la verve de la quatrième symphonie de Brahms. L’orchestre réussi en effet le pari délicat d’unir l’intensité du son à la clarté de l’ensemble, ménageant suffisamment d’espace pour chaque pupitre et chaque effet, y compris dans les éclatants fortissimo et les vastes tutti. Elias Grandy insuffle l’énergie à l’orchestre par sa gestuelle calculée, très ample et engagée (au point parfois d’émettre cependant quelques souffles audibles). Le volume est cette fois ci affirmé et il n’est plus question de faire dans la timidité ou l’humilité. Cette assurance s’ancre dans la structuration ordonnée de chaque ligne et l’agencement précis des motifs. Ces derniers sont développés efficacement par les pupitres comme les percussions martiales du second mouvement, les appels de cuivres et de bois qui confèrent à l’œuvre un caractère quasiment épique ou encore les accents de violon au quatrième mouvement. L’interprétation de la symphonie est ainsi particulièrement vivante et saisissante pour le public qui l’accueille chaudement à la fin du concert par des applaudissements nourris et réitérés. Bien joué les petits jeunes !