DANSE – Casse-Noisette en décembre, c’est un peu comme le vin chaud et les pains d’épices sur les marchés de Noël : la machine à cash des fêtes de fin d’année, familière, réconfortante, attendue, et pas toujours de qualité. Sur un exercice aussi fréquent et répété, on est en droit d’en attendre beaucoup du ballet de l’Opéra de Paris. Le compte y est-il ? Tout à fait !
Casse-Noisette : casse-tête avant les fêtes
Comme tous les grands classiques, Casse-Noisette est difficile à manier : reste-t-on fidèle à l’original, au risque de le fossiliser, ou tente-t-on de le moderniser pour montrer, comme nos cours de français nous l’avaient si bien appris au lycée, que les classiques restent, par essence, toujours d’actualité ? On pourrait soupçonner l’Opéra de Paris de choisir le premier parti-pris. Le ballet s’ouvre et se ferme sur une fête bourgeoise, dont on peut regretter que l’esthétique sacrifie quelque peu à la précision historique. Il faut bien se l’avouer : Tchaïkovski n’a pas choisi la meilleure période de l’histoire de la mode pour composer.
Il se transforme ensuite en conte féérique où s’enchaînent des tableaux toujours plus merveilleux, mais d’une beauté que l’on ne peut qualifier que de papier glacé. Car oui, ce qui tend à manquer dans la valse des flocons de neige et la valse des fleurs, c’est la profondeur. On ne saurait cependant en tenir rigueur aux danseurs. Tous ceux qui, un jour, ont eu à tenir le fameux rôle de l’arbre en carton dans les chorégraphies de kermesse, comprendront qu’il ne peut être donné à l’incarnation du flocon une richesse émotionnelle sans fond.
Noureev : le « casse » du siècle
Mais tout l’art de la chorégraphie de Noureev, c’est de souligner dans ce divertissement familial parfois un peu farcesque, l’obscurité du conte de fées. Le ballet évolue sur une ligne de crête : le cauchemar n’est jamais loin dans les rêves de la jeune Clara et s’immisce dans les plus beaux tableaux. Témoin : le tableau oriental où, dans une atmosphère pesante que l’on imagine saturée d’opium, les grands-parents de Clara prennent les traits de sultans. Les pas de danse classique s’assouplissent d’une sinuosité typique de l’imaginaire orientaliste et créent un mouvement d’une force saisissante. Témoin également la vision cauchemardesque de Clara, où la beauté s’immisce cette fois-ci dans l’étrange, et où les capes ondoyantes de vampires à la tête démesurée frappent soudain comme étant peut-être les costumes les plus adéquats de tout le ballet.
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Casse-Noisette à l’Opéra de Paris, c’est donc un attendu qui, dans le confort ouaté des fêtes de fin d’année, parvient parfois à désarmer. On saluera pour cela la performance de Guillaume Diop, dont la puissance et l’abandon donnent une nouvelle vigueur à ce conte de Noël pourtant un peu usé. Et on sortira attendri par les élèves de l’école de danse de l’Opéra de Paris, qui, trop jeunes encore pour se fondre dans un personnage, jouent avec un enthousiasme touchant les petits chenapans que vous retrouverez bientôt sous vos sapins.