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Giselle à Nice : un grand pas pour les femmes

DANSE – Le ballet Nice Méditerranée, dirigé par Éric Vu-An, offre pour Noël au public niçois, une œuvre du grand répertoire, revue mais non corrigée par Martin Chaix. Giselle, dans son grand manteau orchestral, est dirigée de main de cheffe par l’italienne Beatrice Venezi.

Noir c’est noir 

Un ballet est un objet métamorphique, amarré à son livret et à sa musique. Il navigue au gré du goût des époques et des publics, chaque chorégraphe ayant à cœur de lui insuffler l’air du temps. C’est le cas de Martin Chaix, ancien danseur du chorégraphe Mats Ek, qui avait déjà signé une version de Giselle en 1982. 

Sans la moindre paillette, Chaix fait de ce ballet romantique une œuvre tendue et puissante, dont l’obscurité emprunte davantage à notre modernité chaotique qu’au surnaturel inquiétant du livret, inspiré de Théophile Gautier. La noirceur du dispositif scénique, mêlée de vert et de gris, est à elle seule une forme d’engagement. Elle fait affleurer sous une intrigue conventionnelle, dans laquelle la femme se sacrifie à coups sûrs, littéralement, une autre lecture, dans laquelle Giselle danse, en tant que danseuse, vers sa liberté. 

Les personnages surnaturels, les Willis, femmes-fantômes, fiancées-délaissées, « mortes-vivantes qui tuent les hommes en dansant avec eux jusqu’à épuisement », d’après la présentation maison, font de la danse un acte létal, mélange d’amour et de mort, un amourir*. Elles deviennent, chez le chorégraphe, des individus, hommes et femmes, marginaux et stigmatisés dans nos sociétés du corset, dont les baleines tracent des frontières étanches entre les classes comme entre les sexes. 

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Le ballet fait corps

Le corps de ballet est intensément mobilisé sur le plateau, dansant comme figurant. La scène est un espace de vie quotidienne, plus qu’une surface idéale et hiérarchisée. De petits sous-groupes s’y trouvent éparpillés, vaquant à leurs occupations. Les couples, formés au grès des scènes, ont leur énergie propre, que le chorégraphe privilégie au détriment d’une synchronisation trop mécanique. De manière saisissante, ils peuvent se regrouper en un seul corps, meute protectrice autour de l’infortunée Giselle. Les individus sont différenciés tout en se fondant dans une unité englobante de gestes, d’expression et de costumes. 

© Dominique JAUSSEIN

Les costumes de Catherine Voeffray, légèrement vintage, ont des couleurs passées, délavées, timidement irisées, du taupe au vert de gris, en passant par le rose-peau et le noir-cuir. Les décors de Thomas Mikka, un par acte, sont austères et enveloppants : murs carrelés d’un hall de passage, espace suranné dédié à la danse de salon ; jardin en ombres chinoises, éclairé par deux immenses réverbères. Les lumières de Tom Klefstad ouvrent des espaces immersifs : dorés pour un jour qui se lève au second acte, blafards ou surexposés le reste du temps. 

À la pointe de la danse

Les pointes du ballet classique sont là, en permanence, à l’extrémité de chaussons couleur chair, comme pour se faire oublier. Elles viennent servir l’expression, étirant les corps vers le haut, accusant les contrastes avec les appuis glissés. Aux gestes convenus viennent se greffer quelques mouvements étranges. Les bras s’enroulent autour de la tête, comme le font les chats à leur toilette, et terminent leur course par une imploration. Les gestes bruts s’achèvent avec finesse aux extrémités. Les accroches corporelles dans les portés ont quelque chose d’imprévu, de contingent, comme dans le réel. Tout procède d’un « déroulement » : le corps tourne sur son axe pour célébrer l’énergie humaine, avec une manière décomplexée d’entrer et de quitter la rotation. Pas de course, marches lentes, pauses, gestes parodiques et autres mimiques, matérialisent les émotions. On pense alors à l’opéra, au théâtre, à la pantomime, au cinéma muet : les personnages dansent leur psyché.

© Dominique JAUSSEIN

Giselle est finement campée par Veronica Colombo. Sa danse déroule ses état d’âme et d’être : amoureuse, jalouse, sacrificielle, magnanime. De femme-enfant elle devient femme-pansement puis femme-libre. Bathilde (Julie Magnon) est dans le féminin et le muscle en même temps, jetant le trouble sur les êtres qui l’approchent. Myrtha (Llenia Vinci) est électrisante, en marâtre sexy. Elle semble faire des pointes avec ses pieds nus, ploie ses bras d’arrière en avant comme des serpents, franchit, à force d’étirements projetés, les limites de son corps. L’Albrecht de Zhani Lukaj, robuste et souple, est bien typé. Il accomplit ses parades de séduction avec un ego de matador. Sa métamorphose au second acte en grand oiseau blessé est crédible, émouvante. Hilarion (Theodor Nelson), à l’athlétisme serein et accueillant, déploie de belles géométries. Il est le chevalier servant de Giselle, homme d’amour courtois, faune à la Cocteau ou à la Nijinski. 

Musique d’Adam et de l’Ève Louise Farrenc

Il fallait une ouverture au chorégraphe, qu’il va chercher dans l’œuvre de Louise Farrenc, compositrice contemporaine d’Adam, « donnant une couche supplémentaire à l’angle féministe dont j’ai voulu faire le socle de ce ballet », précise Martin Chaix dans le programme de salle. La baguette de la cheffe est constamment fougueuse, puisant dans la fosse des accents graves ou aigus. Elle polit la partition dans l’élan des tutti, comme dans les beaux solos du violon et du violoncelle, en conversation avec la petite harmonie, clarinette en tête. L’écriture souligne le propos scénique plus qu’elle ne l’enrobe. L’emballement chorégraphique est rondement mené, chaque répétition exprimant le corps à bout de souffle d’Albrecht, lors de sa danse macabre. La chorégraphie suit les moindres avancées mélodiques, les souffles et les phrasés de la musique, sans se laisser enfermer dans des carrures, alors qu’un temps de silence est donné aux climax émotionnels.

Cette osmose vaut de copieux applaudissements aux danseurs, pour cette entrée de Giselle au répertoire de la maison niçoise, ainsi qu’à Beatrice Venezia, en dépit de ses sympathies avec l’extrême-droite italienne, la première représentation s’étant accompagnée d’une manifestation sur le parvis de l’Opéra.

*Mot-valise d’Hélène Cixous, dans son dernier roman, Incendire

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