COMPTE-RENDU – Toulouse a choisi le chef d’orchestre Hervé Niquet pour passer les fêtes de fin d’année. Après le Concert de Noël au Théâtre du Capitole, il est cette fois ci à la Halle aux Grains avec l’Orchestre National et la soprano Emilie Rose Bry pour une soirée aussi festive qu’une coupe de champagne !
L’art de l’assemblage
Le secret de tout bon champagne réside dans l’assemblage des différents cépages et parcelles. C’est aussi vrai pour un Concert du Nouvel An ! Raisin blanc, raisin noir, Offenbach, Johann Strauss II, Franz Lehár, ou encore Holst, c’est aussi étudié que bon. La festive assistance retrouve ainsi des valeurs aussi incontournables et rassurantes qu’une bonne cuvée de Dom Pérignon comme la Polka de La Chauve-Souris, la « Marche de Radetzky » et l’air à boire de La Périchole mais aussi de vieux cépages français oubliés qu’Hervé Niquet fidèle à lui-même (dans la continuité de ses travaux avec le Palazzetto Bru Zane) s’emploie à faire redécouvrir comme la Joyeuse Marche d’Emmanuel Chabrier, la Danse Espagnole du Tribut de Zamora (Gounod) ou encore l’air « J’ai deux amants » extrait de L’Amour Masqué d’André Messager sur un livret de Sacha Guitry. Et parce que la fête ne se résume pas qu’à des soirées guindées où l’on sirote sa flûte (de champagne), quelques bonnes caisses de Clairette sont prévues aussi pour ravir tout en simplicité les plus assoiffés à grand renfort de chanson française comme La Vie en rose, C’est si bon d’Henri Betti et même un peu de grivoiserie, ou de candeur feinte comme avec On a l’béguin pour Célestin extrait de L’Auberge du cheval blanc… chanté par Hervé Niquet lui-même ! Comme le vin, la musique s’exporte à merveille et c’est ainsi que quelques extraits d’outre-Atlantique et d’outre-Manche viennent clore le concert. Hervé Niquet réussit donc le pari de composer un programme comme il l’écrit lui-même : d’œuvres et de pages n’ayant qu’un même but « vous rendre heureux et souriant !!! » tout en sortant largement des sentiers battus et rebattus de l’évènement.
Structure et effervescence, les qualités d’un vin festif
À la fois léger et puissant, c’est comme ça que passe l’Orchestre National du Capitole sur les papilles du public. L’énergie est constante à un haut niveau d’un bout à l’autre du concert d’une heure trente sans entracte. Hervé Niquet en demande beaucoup à l’orchestre. Il doit notamment démarrer au quart de tour, que ce soit au début du concert avant même que le chef ne finisse de s’installer ou entre deux anecdotes : aucun temps mort n’est laissé ! Tout est articulé dans une mécanique imperceptible comme les aromes d’un grand vin aussi puissant que gouleyant. Dès Sylvia de Léo Delibes qui ouvre le concert, les cuivres montrent leur robe éclatante. Les tempi vigoureux adoptés dans la plupart des morceaux font fuser les notes des cordes comme une myriade de bulles de gaz carbonique se posant sur la langue en particulier dans la Marche de Chabrier ou les motifs du Fiddle-Faddle de Leroy Anderson. L’interprétation de Jupiter (extrait des planètes de Holst) révèle toute la complexité de l’orchestre alternant la solennité des forte voire fortissimi avec les effusions guillerettes. Loin de se cantonner à la musique baroque ou française, Hervé Niquet prouve donc, s’il le fallait, l’étendue de son éclectisme.
Emilie Rose Bry se prête au jeu et contribue à faire rentrer le public dans l’ambiance (mimant l’ébriété, une bouteille à la main pour l’air de La Périchole par exemple). Elle montre une large tessiture et un large panel de répertoires (opéra, comédie-musicale, chanson française…). Elle brille particulièrement par le caractère direct qu’elle confère à la ligne de chant et la chaleur de son anglais, touchant directement le public. La chanson française et La Vie en rose en particulier manquent par contre de simplicité dans le chant pour paraître authentique.
À déguster également (avec vidéo intégrale) : le Concert tel un repas de Réveillon à Radio France
Du vin à l’ivresse : douce folie à consommer sans modération !
Que serait une fête de fin d’année sans un peu (voire beaucoup) de fantaisie ? Bien fade probablement ! Et Hervé Niquet l’a très bien compris. Il se fait ainsi aussi bien chef d’orchestre qu’animateur, truffant le concert d’anecdotes croustillantes entre les morceaux, que ce soit sur les œuvres présentées (le jingle de la Fox « Canada Dry » pour éviter le paiement de droits par exemple), leurs compositeurs (la mésaventure scatologique d’Emmanuel Chabrier en voyage en Allemagne) ou son expérience personnelle (son passé de danseur). Il n’hésite pas pendant l’interprétation à commenter, à se retourner pour regarder et faire des mimiques au public ou à s’arrêter de diriger montrant sa confiance envers les musiciens. Ayant bien chauffé le public à grand renfort de délicieuses coupes, ce dernier peut même assister à un Concerto pour machine à écrire (oui oui !) The Typewriter dont la partie soliste est brillamment assurée par Thibault Buchaillet, percussionniste de l’Orchestre.
Hervé Niquet donne de sa personne. Il change de veste en direct et sur l’estrade pour adopter des motifs géométriques fluos avant d’interpréter au micro On a l’béguin pour Célestin. Au fil du programme, le public bien abreuvé par le flux constant de la musique s’amuse donc presque autant qu’il apprécie la musique !
« Être sérieux sans se prendre au sérieux » pourrait donc être l’excellente devise qui résume ce concert. Hervé Niquet y accompagne l’orchestre à son plus haut niveau tout en s’adonnant sans parcimonie à la bonne humeur et à la plaisanterie pour le plus grand bonheur du public qui ne manque pas d’applaudir chaudement entre chaque morceau, coupé seulement par le micro. Les musiciens redonnent en bis la Polka de La Chauve-Souris avant de sortir sous les applaudissements car c’est maintenant l’heure… du champagne !
Image de Une : Hervé Niquet © Rocco Grandese – Palazzetto Bru Zane pour la photographie, CC 4.0 Laura Humpfer pour la coupe et Alexander Müller pour les bulles