CONCERT – Pianiste ukrainienne ayant depuis deux ans donné nombre de concerts de bienfaisance pour aider ses compatriotes face à la guerre, Anna Fedorova se fait aussi généreuse à l’heure de se livrer en récital devant le public du Gstaad New Year Festival. Lequel ne peut que rendre les armes face à tant de talent.
« La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée », aurait dit jadis un certain Platon. Dont Anna Fedorova aurait tout lu de l’œuvre ? Quelle plus belle incarnation de cette citation, en tout cas, qu’un concert de la jeune pianiste ukrainienne, aussi tourmentée par la situation de son pays que transcendée lorsqu’il convient, par la musique, d’en appeler à pacifier les cœurs et les pensées. La preuve à l’occasion de ce récital de gala (un de plus) proposé dans le village typique de Lauenen, proche d’une station de Gstaad où le Nouvel An est décidément célébré avec faste, pour qui aime la belle musique.
À l’oeil, et au doigt
Et puisque l’heure est donc à apaiser les âmes, c’est sous le signe du romantisme qu’est placé le menu d’un concert au programme aussi vaste qu’ambitieux. Et pourtant, comme tout semble couler de source lorsque cette pianiste-là, le sourire jusqu’aux oreilles, s’installe derrière son clavier. Pour jouer Chopin à trois temps d’abord, avec une rythmique implacable, les deux mains unies par les liens de la fraternité et de la sensibilité, venues fondre sur des touches parfaitement domestiquées à l’œil et au doigt, évidemment. Le Grieg ? Pareillement maîtrisé, riche de mille couleurs, et si expressif et passionné à l‘heure d’évoquer un Voyageur Solitaire, la Nuit ou encore un Cortège de Trolls. Pour un peu surgirait une aurore boréale !
Le buzz en un éclair
Puis voici venir Rachmaninov, un compositeur dont l’artiste est sans doute l’une des meilleures ambassadrices actuelles : sa version en ligne du mythique « Rach 2 » ne compte-elle pas plus de 40 millions de vues ? Mais pas de concerto ici, sinon des Préludes comme un chant nostalgique, comme un voyage dans une terre idyllique baignée par la mer et caressée par une douce bise, où quelques rafales viendraient contrarier l’apaisement. Un doux songe auquel invite ici une pianiste au jeu riche des plus justes nuances, d’un fougueux forte à des piano évanescents. Que de subtilité aussi, et de sens de la prosodie (oui, le piano parle), ce qui se vérifie ensuite dans ce Carnaval de Schumann où de Valse en Promenade, d’Arlequin en Colombine, l’on se laisse guider par la main et par les oreilles pour se voir conter une histoire sans mots, mais pas sans teintes et émotions.
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Jeu de couple
Tout n’est donc que talent, définitivement, et puisque l’artiste est généreuse, qu’on vous dit, voici venir non pas un, mais deux bis, la pianiste invitant pour l’occasion son conjoint à la rejoindre. Un conjoint, Nicholas, violoncelliste de profession, partageant avec madame un Chagrin d’Amour de Fritz Kreisler, puis une endiablée et percutante Danse rituelle du Feu de Manuel De Falla. De quoi, une dernière fois, enflammer les cœurs d’un public qui applaudit à tout rompre, et se lève finalement pour ovationner les artistes. Avec des yeux de Chimène pour une Anna Fedorova qui a sûrement lu Kant, elle qui illustre parfaitement à quel point, en des temps troublés, la musique pouvait être le langage des émotions.
Demandez le programme !
- F. Chopin – 3 Valses op.64 : N°1 en ré bémol Majeur, Molto vivace – N°2 en ut dièse mineur, Tempo giusto – N°3 en la bémol Majeur, Moderato
- E. Grieg – Quatre Pièces lyriques : Voyageur solitaire op.43 n°2 – Småtrold (Puck) op.71 n°3 – Notturno op.54 n°4 – Cortège des Trolls op.54 n°3
- S. Rachmaninov – 3 Préludes : Op.32 n°5, Moderato en sol majeur – Op.32 n°12, Allegro en sol dièse mineur – Op.23 n°2, Maestoso en si bémol majeur
- R. Schumann – Carnaval, op.9