AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - InstrumentalLa harpe à Gstaad, un joli coup de Parker

La harpe à Gstaad, un joli coup de Parker

Entre deux rendez-vous d’étoiles de l’art lyrique et instrumental venues briller haut dans les sommets des Alpes Suisses, le Gstaad New Year Music Festival met aussi à l’honneur de jeunes talents en devenir, sachant allier temps biblique et répertoire contemporain.

Perché au sommet, pour mieux voir du haut de la croix

What else? ou bien Where else? Le cadre idyllique d’un charmant village suisse ceint par des montagnes enneigées, devient une invitation à prendre place dans une chapelle (la St. Niklaus Kapelle) comme sortie d’un tableau de Corot, et une musique qui vous ravit les sens et pousse vers le songe et l’introspection la plus totale. Alors, quoi d’autre ? Comment ne pas profiter de cet instant suspendu proposé par ce Festival autour du Nouvel An à Gstaad, qui n’est pas qu’un repaire de vedettes venues gâter le public local, puisqu’il sait aussi mettre à l’affiche de jeunes artistes (et des œuvres récentes)… Et parmi eux, donc, Parker Ramsay, harpiste trentenaire venu des États-Unis, une étoile montante de sa discipline, et qui manie avec autant de bonheur l’orgue baroque (instrument avec lequel il s’est d’ailleurs produit au deuxième jour de ce même festival).

À Lire également nos autres comptes-rendus de Gstaad : le concert du Tenebrae Choir, le récital de Jonathan Tetelman et celui en duo Lisette Oropesa et Ludovic Tézier
la valeur et la douleur n’attendent point le nombre des années

Un instrumentiste au visage encore d’angelot mais au jeu déjà fort mature, aussi à l’aise dans un répertoire ancien (Bach notamment) que contemporain, comme l’atteste cette pièce ici proposée dans la petite église de Gstaad : The Street, une adaptation musicale des 14 Stations du Chemin de Croix du Christ (sa route, sa ‘rue’ toujours moderne du Calvaire), depuis sa condamnation à mort jusqu’à son placement dans le tombeau. Une œuvre toute récente, puisque créée en 2022 (et donnée ici en création Suisse), qui a pour auteurs des noms pas méconnus : à la musique, Nico Muhly, qui a notamment écrit la musique du film The Reader ; au texte, Alice Goodman, qui a signé le livret du fameux opéra de John Adams, Nixon in China

Parker connaît visiblement la partition… sur le bout des doigts
Re-tomber, sur ses pieds (poétiques)

Du beau monde et investi, en somme derrière une œuvre empreinte de douleur et d’affliction, qui évoque ce Vendredi Saint synonyme de Mort du Christ, laquelle se trouve ici narrée (en anglais) par la voix experte de Michèle Larivière, récitante émérite et par ailleurs conseillère artistique du Festival. De l’appel à la Crucifixion jusqu’à la Mort, en passant par l’ultime échange avec Marie et la rencontre avec les femmes de Jérusalem, sans omettre les trois chutes successives du Christ sous le poids de la Croix, tout n’est que supplice, pitié, fatalité, lesquelles se ressentent en premier lieu dans ce récit lu avec une diction d’orfèvre, mots et rythmique étant justement soupesés au gré des émotions et sentiments à décrire. 

Michèle Larivière et Parker Ramsay © Patricia Dietzi – Gstaad New Year Music Festival
Bande-Originale

Mais il y a aussi la musique, évidemment. C’est là qu’interviennent les pouvoirs de Parker Ramsay comme habité par la solennité du moment. Une heure durant, par la magie d’un jeu de mains tout de grâce et de délicatesse, la harpe se fait narratrice, entamant comme un intime dialogue avec la voix parlée, dont les tableaux dépeints n’en trouvent ici que plus de couleurs et de reliefs. Le Christ est-il condamné à mort ? Alors les cordes sont pincées avec lourdeur, et l’écho des notes prolongé, comme s’il s’agissait de faire durer des manières de stupéfaction. Chute-t-il soudainement ? Alors le pincement se fait sec et véhément, comme pour décrire la violence de la chute. Une femme, Véronique, l’incarnation de la Compassion, s’approche-t-elle de Jésus ? Alors les sonorités se font plus vives et éthérées, décrivant une oasis de tendresse, presque une nostalgique parenthèse, dans un parcours de souffrance. Un jeu aux mille teintes en somme, d’une éloquente expressivité, qui voit le soliste mobilier sa vaste palette technique, que la corde soit pincée ou effleurée, quelquefois avec un plectre, le plus souvent avec des mains nues venant fusionner avec l’instrument.

Ite missa est : La messe est dite

Alors, si la fin du Chemin est connue, et appelle quelques secondes de silence recueilli dans l’église, le public donne moins dans l’accablement que dans l’admiration à l’heure d’applaudir un complice duo ayant su, en une épopée envoûtante, suspendre le cours du temps. Tout sauf un luxe, y compris au pays des coucous.

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