DISQUE – L’ensemble Il Pomo d’Oro, dirigé par son chef Maxim Emelyanychev, a gravé une série d’enregistrement Mozart : la première et la dernière Symphonie, le Concerto pour piano en La Majeur et celui pour hautbois. À chaque fois, par le choix des instruments et des couleurs, la ligne claire de l’époque apparaît en filigrane. Alors, le Mozart de plus est-il le Mozart de trop ? La réponse ici.
L’Europe, l’Europe, l’Europe !
Quand on examine le parcours du pianiste et compositeur Maxim Emelyanychev, on voit bien qu’en musique classique, la seule Europe qui puisse se concevoir va de l’Atlantique à l’Oural. Né en 1988, il a étudié à Nijni Novgorod et au Conservatoire d’État Tchaïkovski de Moscou, mais c’est avec des Italiens qu’il a créé en 2013 son ensemble il Pomo d’Oro, au Royaume-Uni qu’il a été chef permanent du Scottish Chamber Orchestra, à Berlin et à Prague qu’il a dirigé les orchestres philharmoniques de ces villes et à Paris, au théâtre des Champs-Elysées en mars prochain, qu’il se produira en duo avec son compatriote violoniste Aylen Pritchin.
Sa discographie déjà riche, tant comme pianiste que comme chef, comporte notamment deux CD au design épuré, l’un rouge, l’autre jaune, intitulés : Mozart – les symphonies – ce qui laisse présager d’autres opus. Les deux ont en commun de confronter le jeune Mozart à celui de la maturité.
- Le CD rouge réunit la 1ère symphonie (KV 16) et l’ultime, la 41e, dite « Jupiter » (KV 551), avec entre les deux le 23e concerto, dirigé du piano-forte
- Le CD jaune, paru en novembre 2023, qui nous intéresse ici, oppose la 29e symphonie (KV 201), un des premiers grands chefs d’œuvre, composé à 18 ans, à la célèbre 40e (KV 550), en intercalant le concerto pour hautbois (KV 314).
Baptême du jeu
Parce qu’elles exigent justesse, clarté, légèreté, naturel, mais aussi engagement et caractère, les symphonies de Mozart représentent pour les orchestres une épreuve de vérité. Il Pomo d’Oro et son chef relèvent le défi haut-la-main. Leur voie est celle de l’interprétation « historiquement informée », sur instruments anciens, avec leurs couleurs fruitées et parfois leurs limites, riche en attaques franches, en contrastes appuyés, en angles vifs. Les sonorités sont parfois âpres, mais parfaitement définies, créant une impression générale de cohérence et, avec le concours de la prise de son, de proximité. Cet artisanat qui ne craint pas de dévoiler les dessous de la composition sonne juste, si bien qu’on se dit que jusque dans les imperfections, c’est sans doute ainsi que, dans une salle de palais avec un orchestre de taille réduite, Mozart entendait ses symphonies – du moins celles qu’il a pu entendre.
Mozart dans le texte
Les partis-pris d’interprétation sont parfaitement assortis à cet univers sonore. Emelyanychev et sa bande jouent toujours avec raffinement, mais sans chercher à faire joli. On est loin de l’image du Mozart poudré faisant des révérences qu’une tradition fausse a parfois forgée. La 29e symphonie frappe par un discours plein de sève et d’énergie, comme un reflet de la libido et de l’impertinence du jeune homme, avec un dernier mouvement qui frôle la course à l’abîme ; un même sens dramatique irradie la 40e, où le contrepoint sert de moteur irrésistible à l’expression ; tout au long du disque, les contrastes et les surprises révèlent la dimension théâtrale, et parfois tragique, de cette musique.
Très haut bois
Le concerto pour hautbois, œuvre de jeunesse elle aussi, au style galant et souvent spirituel, composée en 1777 pour le hautboïste de la chapelle de Salzbourg, bénéficie de l’expressivité, de la personnalité et de la présence du soliste Ivan Podyomov. Sa sonorité riche et charnue n’a peut-être pas la même ductilité ni la même légèreté que l’orchestre, mais qu’importe, elle est superbe, et la cadence du 2e mouvement est un moment de temps suspendu.
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Il existe déjà des dizaines, voire des centaines de versions de ces symphonies, dont certaines mythiques. Alors, pourquoi une de plus ? Celle-ci répond : parce que les possibilités d’interprétation des chefs d’œuvre sont infinies ; qu’une vision sincère et inspirée attire à coup sûr attention et intérêt ; en un mot, parce que ces artistes ont quelque-chose à dire.
C’est pour qui ?
- Pour ceux qui aiment Mozart – c’est aussi répandu qu’aimer le chocolat – et notamment pour ceux qui le recherchent bien épicé
Pourquoi on aime ?
- Pour une 40e symphonie où s’entend la vérité des désirs, des douleurs et des passions
- Pour le son du hautboïste
- Pour la lisibilité, la virtuosité collective et l’énergie