COMPTE-RENDU – Leonidas Kavakos, Antoine Tamestit et l’Orchestre philharmonique de Radio France nous ont offert un programme encore mieux qu’une boîte de chocolats : la Symphonie concertante K 364 de Mozart et la 6e symphonie de Prokoviev ! Comme lors d’un repas de famille réussi, la musique y fut partagée et savourée.
Kesako Kavakos ?
Avez-vous reçu des chocolats (des pralines, pour nos amis belges) pour Noël ? Oui, évidemment ! Peut-être même avez-vous reçu des Leonidas, ces chocolats un brin lourds et pompeux, dans leur belle boîte bleue nuit et dorée. Vendredi 12 janvier, les spectateurs présents à l’Auditorium de Radio France ont pu succomber aux charmes plus subtils et épicés d’un autre Leonidas : ceux du violoniste et chef d’orchestre grec Leonidas Kavakos. Né à Athènes en 1967, il partage sa carrière entre le violon, dont il est un soliste reconnu, et la direction d’orchestre. Pour ce concert, il retrouvait avec plaisir les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Radio France, après avoir été artiste en résidence à la Maison de la radio durant la saison 2021-2022.
Premier plat
En première partie de concert, les musiciens du Philhar sont apparus en formation resserrée : une trentaine d’instrumentistes à cordes, 2 hautboïstes et 2 cornistes avec, derrière eux, des pupitres, des chaises et divers instruments (percussions, une harpe, un piano, des contrebasses dans les chevalet) attendant sagement qu’on fasse appel à eux.
Sont alors entrés sur scène deux messieurs, fins et élégants, armé chacun d’un instrument à corde. Pour le plus grand, j’ai nommé Leonidas Kavakos, le violon « Willemotte », fabriqué en 1734 par le fameux luthier Stradivarius. Pour le second, Antoine Tamestit, un alto prêté par la Fondation Habisreutinger, également de Stradivarius et fabriqué en 1672.
Et oui, deux solistes, pas de chef et un orchestre modèle réduit -voilà qui n’est pas courant- pour interpréter une œuvre rare et précieuse du répertoire symphonique, la Symphonie concertante K 364 de Wolfgang Amadeus Mozart. Nous sommes en 1779. Deux ans plus tôt, Mozart a séjourné à Paris, où il espérait être embauché. Peine perdue : il n’y reçoit que des commandes et a même le malheur d’y perdre sa mère. Il fait alors deux séjours successifs à Mannheim, où se produit l’orchestre de Christian Cannabich, réputé dans l’Europe entière pour son excellence et ses effets sonores innovants. Là aussi, il espère être embauché. Mais c’est, à nouveau, peine perdue. Il se résigne alors à reprendre son service auprès du prince-archevêque de Salzbourg, Colloredo. C’est à ce moment-là qu’il écrit cette symphonie concertante, avec un orchestre dit « à la française » : deux hautbois, deux cors et cinq pupitres de cordes, les altos étant divisés.
C’est une oeuvre d’un Mozart encore jeune (23 ans), contemporaine de la Messe du couronnement (dont la partie pour soprano monte au terrible contre-sol, écrite sur-mesure pour la voix, exceptionnelle, de sa belle-sœur, Aloysia Weber) mais antérieure à ses grands opéras (Don Giovanni, Les Noces de Figaro…), ses grandes symphonies et ses grands concertos. C’est de la dentelle d’écriture, dont le raffinement s’exprime même dans l’écriture de l’accompagnement. Le respect de la construction est total, mais ne s’impose jamais à l’oreille. L’écriture pour les deux solistes joue sur les complémentarités des instruments, qui se répondent, reprennent la partie de l’autre ou s’imbriquent harmoniquement. Le mouvement lent a la profondeur d’un duo d’opéra et le thème « alla hungarese » (à la hongroise) du rondo final, enlevé et pétillant, laisse notamment passer une pointe d’humour, puisque les lignes des solistes rivalisent dans les aigus, à qui ira le plus haut.
Pour interpréter cette partition fine, les musiciens du Philhar ont été parfaits, précis et chaleureux tout en étant faussement badins. Quant à nos deux solistes, leur duo du soir a été fait de connivence, de complicité et d’amour de la musique partagée. Ils ont été remarquables dans l’exécution, chaque phrasé, chaque articulation étant donnée avec un soin extrême. Les deux cadences de solistes, à la fin du premier et du deuxième mouvement, ont pu attester de leur complémentarité et de leur sens éprouvé de la musique de chambre. Évidemment, l’absence de chef, pour une musique aussi délicate, s’est parfois fait ressentir, donnant l’impression que les interprètes marchaient prudemment sur un terrain gelé et glissant… Si le violon de Leonidas Kavakos fut par instant un peu trop nerveux, l’alto d’Antoine Tamestit fut parfait : pointe de l’archet affûté, chant musical et précis, dynamique maîtrisée.
Second plat
Après cette belle entrée en matière, notre maître chocolatier est revenu sur scène, pour diriger cette fois une oeuvre puissante et majestueuse, à l’effectif orchestral important : la 6e symphonie de Serge Prokoviev. On peut quand même s’étonner d’un tel grand écart temporel et stylistique, entre une symphonie autrichienne du 18e siècle et une symphonie russe du milieu du 20e siècle. Était-ce pour une raison de durée, afin que l’ensemble du concert tienne dans le programme du soir de France Musique, qui rediffusait en direct ce concert ?
Toujours est-il que Leonidas Kavakos a su faire oublier ce questionnement par la belle interprétation qu’il donna de cette 6e symphonie de Prokoviev, rarement jouée. Âpre, lyrique, emplie de spiritualité, elle frappe par sa largeur de propos -sa noirceur parfois- et la capacité de Prokoviev à tenir cette envergure. L’orchestration y est splendide, avec des effets de timbres recherchés (ponctuations du piano avec le xylophone et les cuivres, celesta et cor anglais…) et de beaux relais d’instruments (cor anglais/violoncelles, cordes entre elles, cors/altos). Les idées mélodiques sont nombreuses mais ne se gênent pas, avec de magnifiques séquences à la 1ère trompette, aux bassons, aux violoncelles, à l’alto solo ou encore au célesta.
Armé de ses seules mains nues, avec finesse et précision, Leonidas Kavakos a su obtenir, de la part de musiciens heureux, visiblement, de travailler sous sa direction, une grande générosité sonore maîtrisée. Un menu en deux parties, composé par un Leonidas maniant subtilement les dosages fins et sachant offrir aux personnes venues le déguster une élaboration réussie et brillante.
Douceurs
Voici la possibilité, pour laisser fondre le chocolat sous votre langue, de réécouter le concert, assorti d’explications et d’interview d’Antoine Tamestit, sur le site de France Musique : https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-concert-du-soir/l-alter-ego-selon-mozart-prokofiev-avec-antoine-tamestit-et-l-op-dirige-par-leonidas-kavakos-7432400