DÉPART – Le chef machiniste de La Fenice de Venise tirait sa révérence avec la production (signée Bepi Morassi) du Barbier de Séville de Rossini, qui animait une fois encore cette période de Carnaval. Nous étions en salle, voici ce qu’il s’est probablement dit :
Je m’appelle Andrea Muzzati et j’ai été embauché à 18 ans en 1981 comme machiniste.
Aujourd’hui, je suis à la tête d’une équipe de 30 personnes.
Bien sûr, je garde un souvenir indélébile de l’incendie du 29 janvier 1996. Nous étions en tournée à Varsovie. Jusqu’en 2003 (date de l’inauguration du nouveau théâtre), nous avons été expatriés dans un chapiteau, le Palafenice.
Ce soir, c’est ma dernière, je tire ma révérence, un jour de Mardi Gras !
C’est Le Barbier de Séville, régulièrement donné depuis 2002. Plus de secrets pour moi. Je peux même anticiper les gags des protagonistes.
Et puis, j’ai de la chance, c’est un décor classique plutôt simple car statique : un décor de fond (la ville de Séville), une façade de maison avec un escalier derrière qui permet d’accéder au balcon, trois marches-estrade en avant-scène.
La seule difficulté est le changement de tableau : à peine 10 minutes, pendant que Figaro fait son numéro à la Fred Astaire rideau fermé, pour mettre en place l’intérieur de la maison du vieux. Faire descendre du cintre la toile rouge rayée jaune, vérifier que tous les portraits de famille sont bien fixés, mettre les paravents, les chaises, le pianoforte… presto, presto.
Ensuite, je suis peinard (mais attentif) jusqu’au finale où il faudra faire descendre un immense cadre et dérouler des serpentins de carnaval.
Alors je savoure avec tout de même une pointe de nostalgie ma dernière séance.
Figaro est particulièrement en forme. On dirait presque Bugs Bunny dans le lapin de Séville ! Il est sur ressorts, la voix est d’une puissance comme je ne l’ai jamais entendue. Tiens, le public l’acclame tel un matador ! Olé.
Almaviva a pris beaucoup d’assurance dans son sillage. Il ira loin ce petit maltais avec sa voix et son physique de jeune premier.
Ah Rosina ! Quelle femme ! Bon, certes, elle n’a plus l’âge du rôle mais sa voix me transperce, toutes ces vocalises, ces feux d’artifice… Chapeau bas Madame pour avoir tenu le rôle comme à l’Opéra Bastille il y a une dizaine d’années. Ah, Paris… j’irai peut-être maintenant que j’ai du temps, voir Montmartre, ses cabarets, sa Bohème (l’autre grand classique donné d’ailleurs en ce moment en alternance ici à La Fenice).
Bartolo et Basilio sont aussi très en forme ce soir dans le passage sur la calomnie. Il me fait toujours bien rire Basilio quand il ouvre son manteau tel un exhibitionniste où sont cachées ses cartes pour tricher !
Bartolo qui est là depuis plusieurs saisons, est une vraie mitraillette à paroles et j’ai l’impression que ce soir, il mène la danse avec l’orchestre.
J’attends avec impatience la scène où Basilio, le maître de musique, se confronte à Almaviva, déguisé en faux maître de musique, puis celle où, prétendu malade, il est chassé par les médecins de la peste.
Mais Berta, qu’est-ce qui lui prend à s’égosiller de la sorte ? Bon, elle va nous faire rire (comme toujours) dans son air. Et non, raté, que se passe-t-il ? On ne l’entend presque pas ! La voilà qui sort, toute blême.
Tiens, Figaro débouche le champagne et tous trinquent pour le mariage de Rosina et Almaviva. D’habitude, il y a juste les coupes.
Et voici mon directeur qui interrompt la cérémonie pour prendre la parole et j’entends mon nom ! Je monte sur scène, quelle émotion de se retrouver ainsi face au public. Je bafouille mais je suis heureux. Toute la salle m’applaudit, je suis devenu le Machiniste de Venise.
Et croyez-moi, mon métier fut si passionnant qu’en 43 ans de carrière, il ne m’a jamais barbé (hé hé hé).
Et maintenant, que vais-je faire pour occuper mon temps ? Et si j’ouvrais un salon de coiffure…