COMPTE-RENDU – Dans un hommage à la danseuse de ballet Leyla Bedir Khan (c. 1907-1986), la soprano kurde Pervin Chakar, accompagnée par le pianiste Genc Tukiçi, propose un récital alternant airs classiques d’opéra et chants traditionnels kurdes, Salle Cortot.
Il était une fois Leyla Bedir Khan, danseuse de ballet et princesse kurde…
Le prince Abdürrezzak Bedir Khan, de la principauté kurde de Bohtan, avait épousé Henriette Ornik, dentiste d’origine juive austro-hongroise. De leur union naquit une fille, Leyla. Nous étions alors dans la première décennie du XXe siècle et les tensions politiques faisaient rage au sein de l’Empire ottoman. Pour ses positions politiques en faveur des populations kurdes de l’empire, le père de la future danseuse fut contraint de s’exiler en Égypte avec sa famille et mourut alors que sa fille n’avait encore que 14 ans. L’adolescente se retrouva à Vienne avec sa mère ; là, elle apprit la danse. C’est ainsi que fleurit la légendaire « Leyla des Mille et Une Nuits », ou encore « la lune brillante des nuits orientales » et « la princesse kurde de la danse » qui marqua les années 1920-1930 par ses mouvements relevant de la pantomime et inspirés par les traditions kurdes, mais également mésopotamiennes, par les rites mystiques zoroastriens et les danses indiennes… La princesse se produisit à Paris, Vienne, à La Scala de Milan et à New York, mais aussi en Égypte, en Inde ou en Suède et mourut finalement en 1986, à Paris.
C’est à la mémoire de cette princesse et danseuse de légende que la soprano kurde Pervin Chakar dédia ce concert du 17 mars 2024 où se rencontrent airs d’opéras et chansons traditionnelles kurdes, concert mettant en parallèle deux artistes femmes dévolues à porter sur la scène internationale danse ou musique kurde, à les sortir de leur sphère traditionnelle ou populaire pour, tout en conservant leur identité d’origine, leur donner une résonance plus universelle.
Il était une fois Pervin Chakar, cantatrice kurde venue à Paris…
Comme Leyla Bedir Khan, à l’origine danseuse de ballet, Pervin Chakar mêlait ce soir les chants traditionnels kurdes à des airs d’opéra classiques (airs de Gounod, Massenet, Bellini…). Ce n’était plus dans la danse, mais dans le chant lyrique que la soprano reprenait ces airs traditionnels kurdes mis à jour sous une lumière neuve, comme une sorte de « bel canto kurde » – ainsi les airs Ciyayên me, « Nos montagnes » ou encore Lo Şivano, « Ô berger ».
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D’une voix puissante et prodigue en émotions, la cantatrice replongea ce soir dans ces deux répertoires. Son timbre riche, doté d’une profusion de couleurs, notamment dans la clarté sonore des aigus, faisait aussi bien vibrer les airs kurdes que français (où la diction était cependant difficile) et italiens. Avec une aisance naturelle, elle abordait les chants kurdes, souvent très mélancoliques, mais aussi joyeux comme Newrôz, chanté lors du Nouvel An kurde à l’équinoxe de printemps chaque 21 mars. Elle interpréta également la chanson Arix, écrite en hommage aux 33.000 victimes du tremblement de terre de 1939 dans la province d’Erzincan, à l’Est de la Turquie et pour lequel Leyla Bedir Khan avait contribué à l’aide aux victimes.
Elle était accompagnée au piano par Genc Tukiçi, lequel présentait un jeu souple et appliqué, trop appuyé, mais suivant avec attention la chanteuse.
Le concert s’acheva sur Dayê welat şerîn e « Mère, la patrie est douce », reprise en bis. Un public en liesse remercia la cantatrice par une standing ovation et sur ce finit ce conte musical, écho à l’œuvre dansée de Leyla Bedir Khan… avant de se rendre vers une 1002ème nuit.