NOUVEAUX FORMATS – Samedi en fin de journée, les spectateurs des cinémas du groupe Pathé ont pu assister à la représentation de Roméo et Juliette de Gounod, diffusée en direct depuis le Metropolitan Opera de New York. Ou quand le charme du grand écran se trouve auréolé par celui des héros de l’histoire, Benjamin Bernheim (Roméo) et Nadine Sierra (Juliette).
Éviter l’usage de la poudre d’escampette
Si le transplanage, cher au cœur d’Harry Potter, existait, peut-être se rapprocherait-il du dispositif Met Live : diffuser, en direct et dans plusieurs cinémas de par le monde, une représentation d’opéra depuis le Met de New York. L’occasion, pour les spectateurs présents dans les salles de cinéma, de plonger au cœur d’un haut lieu de l’opéra et de se sentir, le temps d’une représentation, un peu new-yorkais… Pour cela, nul besoin de Portoloin ou de Poudre de cheminette (encore moins d’escampette). Il suffit de se rendre à la gare de King’s Cross, à Londres, euh pardon, au cinéma du groupe Pathé le plus proche de chez vous. Et d’y chercher le quai 9 3/4 ? Non, tout simplement la salle où l’opéra va être projeté. Là, apparaîtra devant vos yeux, sur grand écran, non pas le hall de Poudlard mais bien le rideau de scène du Met, enchâssé dans son élégante arcade.
Des publicités ultra-bright
Vous serez alors saisi par l’ambiance, avec l’impression de faire partie du public de Big Apple, en train de s’installer, de se saluer et de se reconnaître. Il faut dire que règne, dans la salle où vous vous trouvez, un atmosphère également chaleureuse et détendue, assez différente de celle d’une salle obscure habituelle. Ici aussi, le public s’installe, se salue et se reconnaît. On a affaire à des habitués, des pros du genre, qui n’hésitent pas à comparer les mises en scène ou parler de la forme vocale des chanteurs vedettes du moment. D’une oreille, ils écoutent un speaker à la carrure d’athlète, en T-shirt noir et veste de smoking, présenter, en Anglais of course, le programme et remercier les généreux donateurs sans qui tout cela ne serait pas possible. Ne pas oublier qu’on est aux États-Unis, où la culture, qui n’est pas subventionnée, n’est assurée que par des financements privés. S’ensuivent alors, en bonne logique, des publicités ultra-bright pour Bloomberg, spécialisé dans les produits pour les marchés financiers, ou encore pour la marque de montres de luxe Rolex.
Puis le speaker, en l’occurrence le baryton-basse Ryan Speedo Green, en vient au sujet principal de la soirée : l’opéra Roméo et Juliette, de Gounod, dans une mise en scène de Bartlett Sher, avec le ténor français Benjamin Bernheim en Roméo, la soprano américaine Nadine Sierra en Juliette et le chef canadien Yannick Nézet-Séguin à la baguette.
À Lire également : le compte-rendu d'Ôlyrix
Les amants de Vérone
Dans la salle, à New York comme à Paris, les lumières s’éteignent et l’ouverture de l’opéra se fait entendre, solennelle et saisissante. Puis le chœur, dans un Français de très bonne tenue, énonce ces paroles terribles, ponctué par des effets de roulement de tambour à l’orchestre : « Vérone vit jadis deux familles rivales, les Montaigus, les Capulet, de leurs guerres sans fin, à toutes deux fatales, ensanglanter le seuil de ses palais. Comme un rayon vermeil brille en un ciel d’orage, Juliette parut et Roméo l’aima. Et tous deux, oubliant le nom qui les outrage, un même amour les enflamma. Sort funeste, aveugles colères ! Ces malheureux amants payèrent de leurs jours la fin des haines séculaires qui virent naître leurs amours. » Si ça n’est pas du Shakespeare dans le texte, la portée de ces mots des librettistes Jules Barbier et Michel Carré n’en reste pas moins réelle et tragique.
Sur scène, le décor est sobre. Gris, il figure la façade d’un palais de Vérone, avec une placette devant, lieu de toutes les actions. Les costumes, assez soignés, sont 18e, en référence directe au film Casanova, de Franco Zeffirelli, comme l’expliquera, au moment de l’entracte et en direct, le metteur en scène Bartlett Sher, au micro de Ryan Speedo Green. Au moins, avec tant de sobriété et si peu de prise de risque, on évite tout dérapage. Par contre, les déplacements des personnes sont fluides et très bien conduits, suffisamment ductiles pour éviter l’ennui et le statisme. Les costumes sont chamarrés, les masques du bal d’ouverture chez les Capulet sont chics et festifs, bref, la mise en scène est de bon ton et vient servir avec générosité le propos musical.

Laissez le charme agir
Le propos musical : nous y voilà. Il est vraiment le héros de cette soirée, tant pour la qualité de la partition que pour celle de ses interprètes. Incarné par plusieurs magiciens de premier niveau, il s’exprime avec force et talent. Il y a tout d’abord Dumbledore, euh… Gounod, alchimiste d’une musique extrêmement subtile et variée, frémissante pour figurer la nuit, poignante et puissante pour maudire ou encore sensuelle et langoureuse pour magnifier l’amour des amants de Vérone.
Des amants de Vérone jeunes et impétueux (ils ont seize ans dans l’histoire, un peu comme Hermione et Ron…), campés à merveille par Nadine Sierra, façon jeune fille rêvant de son bal de promotion, et Benjamin Bernheim, rivalisant de moues d’ado et d’airs benêts. Puis, alors que le drame se noue et que leur amour s’intensifie, on les voit maturer sous nos yeux, comme un passage à l’âge adulte accéléré. Ils sont tous les deux stupéfiants de crédibilité, de séduction scénique et d’osmose de jeu.
Mais au-delà de tout cela, c’est leur prestation vocale qui installe la magie. Chez l’un comme chez l’autre, la voix est magnifique par son timbre, assurée tout en étant souple et parfaitement à l’aise techniquement. L’un comme l’autre déploie un volume prodigieux, sans aucune véhémence, simplement par un placement optimum de la voix et ce sens de savoir s’adapter à la salle dans laquelle on se produit. Le Français de Nadine Sierra est quasiment parfait, hormis peut-être quelques accentuations un peu lourdes ici ou là. Quant à celui de Bernheim il coule de source, comme une rivière enchantée. Une rivière enchantée qui vient cueillir au creux de l’oreille tous les spectateurs présents ce soir-là, à New York ou un peu partout de par le vaste monde…
Un dernier mot enfin pour remercier l’ensemble du cast, les musiciens et les membres du chœur, qui se sont métamorphosés, sans doute grâce à la baguette magique du chef Yannick Nézet-Séguin, en valeureux porteurs de ce chef-d’œuvre de Shakespeare magnifié par Gounod !