DANSE – La Trisha Brown Company se présente au Joyce Theater de New York cette saison pour un programme mêlant deux pièces du répertoire à une création du chorégraphe français Noé Soulier. Les traditions et espaces se mêlent, laissant une sensation d’avant-garde absolument étonnante.
Leurre danse
Dans le monde de la création contemporaine, on croit souvent qu’on s’habituera à tout, et qui ce qui était nouveau il y a dix ans ne l’est plus aujourd’hui. Grossière erreur pour Trisha Brown : on a rarement vu quelque chose d’aussi surprenant. Les années 70-80 américaines sont là, et Trisha Brown n’est pas en reste. Aujourd’hui spectateurs de l’art post-post-modern, le retour aux visions radicales du post-modernisme naissant, de l’époque de la chorégraphe (alors collaboratrice du Judson Dance Theater), a finalement tout d’encore nouveau en 2024. Noé Soulier, héritier de la non-danse française des années 90, ajoute une couche supplémentaire avec In The Fall, créé en 2023 au CDCN de Caen spécialement pour la Trisha Brown Company.
New York va à toute vitesse, et l’on critique souvent « l’agression quotidienne » de cette grande ville pas très polie, mais c’est pourtant au cœur du Joyce, théâtre intime et intello coincé entre Chelsea et Greenwich Village, que l’agression (cette fois artistique) arrive. Le silence des pièces sans musique et des répétitions à l’infini de Trisha Brown est en fait assez violent, et l’on sort un peu pétrifié face à ce Glacial Decoy. Les danseurs s’y jettent avec force et puissance, allant au bout de l’exploration épuisante imposée par la chorégraphie. En fond de scène, des panneaux montrent des images photographiques d’une certaine modernité figée par le noir et blanc, où les références (les vagues d’Isadora Duncan ?) se croisent et s’interrogent, sans donner de réponse.
À lire également : Profession de foi au Met Opera de New York
Modèles
In the Fall et Working Title, respectivement les pièces de Noé Soulier et Trisha Brown, se répondent alors dans un dialogue espacé de quarante ans, et plusieurs générations de danseurs. Dans sa pièce, Noé Soulier pousse au maximum les directions réflexives mais aussi artistiques de Trisha Brown, en les colorant littéralement de son propre esprit. En bon philosophe, Noé Soulier propose en effet une vision radicale de Trisha Brown : au déséquilibre il oppose la chute (In the Fall) ; à la disjonction scénique l’isolement du danseur ; à la jolie folie post-hippy des couleurs franches ; et à la légèreté des années 80, la violence du monde moderne. In the Fall et Working Title semblent donc être les deux faces d’une même pièce, interrogeant en vis-à-vis les perceptions de chorégraphes mais aussi les nôtres.
On finit l’après-midi en se disant qu’au fond on préfère peut-être la vraie Trisha Brown, non revue par Noé Soulier, mais surtout après voir vu Noé Soulier. La modernité des années 80 est au fond toujours plus nouvelle que celle que nous connaissons…