COMPTE-RENDU – Ce spectacle ultra-violent dénonce sur la musique de Bach comment le mal a pu pourrir une famille pendant trois générations. Un ovni théâtral de Lisaboa Houbrechts, au croisement entre opéra, ballet, théâtre et arts plastiques. Mieux vaut avoir le cœur bien accroché pour ce “Pépé Chat” au Théâtre de la Ville… Comme quoi un titre peut être trompeur et cacher un conte cruel : “caresses de chats donnent des puces” dit le dicton.
Une tragédie grecque basée sur des faits réels (dans la nuit tous les chats sont ai-gris)
La metteuse en scène flamande Lisaboa Houbrechts s’attaque à un sujet coup de poing : la transmission de la violence sur trois générations (celle de ses grands-parents, de ses parents et la sienne). Inspirée par sa propre histoire familiale avec une dose de fiction, elle explore les cycles de la violence qui se perpétuent au sein d’une même famille et qui débute par l’abus d’un prêtre pédophile sur son grand-père, lorsqu’il était enfant de chœur au sein de l’église. « Pépé Chat », c’est lui, ce vieil homme tourmenté et grognon qui deviendrait un homme gangrené par le mal, enrôlé dans le nazisme, battant sa femme atteinte d’un cancer du sein et son fils qu’il suspecte homosexuel et qui lui-même subit des attouchements de son oncle. L’horreur atteint son paroxysme lorsque « Pépé Chat » abuse de sa petite-fille dans la scène finale, symbolisant une infiltration intergénérationnelle du mal (quand la victime du passé devient le bourreau d’aujourd’hui). Il y a aussi la question de la religion et du pardon entre Pépé Chat (qui remet en question l’existence de Dieu depuis son viol subi) et Mémé Chat (profondément croyante, qui prône le pardon face aux pires atrocités, et sans les dénoncer). Vous l’avez compris cette spirale infernale de violence est glaçante et dérangeante surtout pour qui vient au spectacle sans avoir lu l’histoire avant.
Le chat de Schrödinger sort de sa boîte noire, symbole d’oppression
Au centre de la scène épurée, une boîte noire monumentale se dresse, tel un cercueil renfermant les secrets et les tourments des personnages mais aussi un symbole de l’enfermement et de l’oppression. Lorsque la boîte s’ouvre à plusieurs moments dans un fracas retentissant, elle libère des morceaux de papier journal déchirés qui s’éparpillent partout dans la salle, comme les confettis macabres d’un passé douloureux que l’on tente vainement d’occulter (et qu’on ne pourra jamais nettoyer dans les moindres recoins). Cette performance plastique brise la frontière entre la scène et la salle et implique directement les spectateurs dans l’histoire, témoins involontaires d’une violence qui donne le vertige (et la nausée) malgré la magnifique musique de Bach.
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Musique sacrée en arrière-plan face à l’horreur
Lisaboa Houbrechts signe aussi la mise en scène, inventive et percutante, mêlant théâtre, musique, danse et arts plastiques. La Passion selon saint Jean de Bach mélangée à de la musique électronique et interprétée en direct par quatre chanteurs, offre un contraste saisissant avec la violence des scènes de viols suggérés à l’arrière-plan. La musique n’arrive toutefois pas à prendre le pas sur la sidération visuelle et même auditive du public. Tous les ingrédients sont là pour créer un sentiment de malaise : peu de mots, beaucoup de cris suivis de silence et des rares moments dansés. Lorsque les mots ne parviennent pas à sortir pour exprimer la rage, ce sont les corps des comédiens qui prennent le relais dans une danse brute. Une scène particulièrement marquante met en scène des petites têtes blondes qui se bagarrent avant d’être poursuivies par des hommes d’église en soutanes et capuchons. Tout au long de la pièce, un évangéliste incarné par l’acteur Boule Mpanya rode et observe les événements en silence. Les comédiens, aussi bien les enfants que les adultes, tous excellents livrent des performances bouleversantes.
Une violence nécessaire ? de quoi fouetter un chat ?
Cette violence qui prend aux tripes jusqu’à la nausée est-elle nécessaire au théâtre, pour faire passer des messages sans aucun moment de répit ? L’œuvre est de celle qui marque les esprits mais qu’on aura du mal à conseiller à ses proches.