FESTIVAL – Cette soirée de musique de chambre en hommage à Daniel Barenboim programmée dans le cadre des Rencontres Musicales d’Evian s’inscrit dans le cadre de la superbe salle de concert tout de bois vêtue de la Grange au Lac et son écrin végétal. Pas besoin de lire entre les lignes du programme pour comprendre ce qu’anticipe l’hommage de ce soir à Daniel Barneboïm. On vous raconte…
Le bois dans tous ses états
Renaud Capuçon voue une grande admiration à Daniel Barenboïm, avec qui il a travaillé à plusieurs reprises et avec lequel une relation personnelle et artistique forte s’est créée au fil des ans. Il est à l’initiative de ce concert qui devait marquer la première invitation du maestro à Evian notamment pour un duo au piano à quatre mains avec sa complice et amie de toujours, Martha Argerich. La maladie en a décidé autrement et Daniel Barenboim a dû annuler cette venue tant attendue. Pour autant, sa présence dans la Grange au Lac était palpable et puissante, inspiratrice sans aucun doute pour les trois solistes présents -Martha Argerich, Edgar Moreau et Renaud Capuçon. Elle était aussi bien réelle pour le public, dont l’attention ne s’est relâchée à aucun moment. Dans ce cadre enchanté où le bois est omniprésent et comme vivant, les instruments aux essences précieuses -piano, violon et violoncelle- ne peuvent qu’entrer en harmonie, surtout dans les mains de musiciens aussi bons.
De Sonate en Sonate : nostalgie du futur
Le concert démarre avec la Sonate pour violoncelle et piano, composée d’un seul jet par Claude Debussy en 1915, face à cette mer orageuse qu’il aimait tant, et alors que la maladie se faisait déjà jour. Cette œuvre, qui se veut comme l’expression du génie musical français en cette seconde année de guerre mondiale, renoue avec les racines d’antan. Le violoncelle d’Edgar Moreau se retrouve sous la lumière . Il laisse s’épancher son violoncelle avec une précision et une dextérité attentive qui ne négligent jamais pour autant le sentiment dominant : la mélancolie. De quoi entrer dans le monde opaque et sombre de la Sonate pour violon et piano n°1 en la majeur op.105 de Robert Schumann.
Trio funèbre et Ravel à vif
Composée entre 1920 et 1922 en hommage à Claude Debussy disparu en 1918, la Sonate pour violon et violoncelle en la mineur de Maurice Ravel surprend par son dépouillement et une certaine forme d’austérité. Très affecté par la mort de sa mère, Ravel signe une sonate qui marque une évolution certaine dans l’œuvre du compositeur. Techniquement très difficile cette musique austère se pare d’un troisième mouvement Lent où les deux instruments se répondent sans concession, dans une virtuosité jamais gratuite, mettant à nu les limites mêmes du violon. Le dernier mouvement pousse vers le paroxysme rythmique. Renaud Capuçon et Edgar Moreau s’emparent de cette musique avec une maîtrise souveraine et une attention de chaque instant.
Le magnifique et douloureux Trio pour violon, violoncelle et piano n°2 de Dmitri Chostakovitch fut composé en 1944 et créé à la Philharmonie de Leningrad en novembre suivant, alors que la seconde guerre mondiale qui avait tant affectée le territoire russe semblait enfin en voie de résolution. Tout imbibé d’une ambiance funèbre voire crépusculaire, ce Trio révèle toutes les horreurs de la guerre et par son thème directement inspiré du folklore juif, l’holocauste. Le piano martèle pour sa part cette vision implacable et ses réalités. Ici Martha Argerich touche au génie !
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Cette magicienne du piano, impose le respect et suscite toujours la même admiration. Ce toucher à la fois puissant et d’une sensibilité à fleur de peau, cette attitude martiale devant le piano, cette sonorité toujours libre et parfaite nous laissent pantois ! Devant le délire suscité auprès du public de la Grange au Lac par les prestations des trois musiciens, le trio s’est reformé pour un bis heureusement plus souriant avec le très apprécié premier mouvement du trio n°1 en ré mineur de Félix Mendelssohn.