DISQUE – Cyrille Dubois et Tristan Raës poursuivent leur exploration de la mélodie française pour le label Aparté. Mais après Fauré, puis Nadia et Lili Boulanger, les deux musiciens explorent le répertoire d’un compositeur autrement méconnu : Louis Beydts.
Le cercle des poètes disparus
Est-il encore nécessaire de présenter aux amateurs de mélodie française Cyrille Dubois et Tristan Raës ? Le nom de Louis Beydts en revanche leur sera moins familier (si ce n’est totalement obscur) : c’est pourtant à ce compositeur des premières décennies du XXème siècle et directeur de l’Opéra-Comique que cet enregistrement est consacré.
En réunissant trente-six mélodies, dont six cycles, le duo Dubois-Raës offre un large panorama du talent de Beydts et de ses goûts en matière de poésie. Mais à voir les noms réunis sur cet album, on croirait à un cercle des poètes disparus : non pas qu’Henri de Régnier, Paul Fort ou Tristan Klingsor soient de parfaits inconnus ; mais disons que la postérité les a rendus plus confidentiels, là où elle semble avoir voulu effacer les noms d’Henry Bataille, Robert Honnert et Jean-Paul Toulet – et la postérité n’a pas toujours raison.
Méditations poétiques
En effet, difficile de ne pas être saisie par cette invocation d’un monde poétique passé, où les grands sentiments côtoient les petites misères, où les courants littéraires s’entrecroisent sous la plume d’un compositeur qui montre un grand amour du texte. Ainsi, l’écriture est presque toujours syllabique, laissant le vers apparaître pur. Il y a aussi, chez Beydts, une finesse dans la prosodie, comme ce « Reprends la route du bois sombre » où l’irrégularité métrique est prétexte expressif. Mais là où le compositeur séduit le plus, c’est dans la sincérité, le sérieux qu’il applique à chaque mélodie. Il y a bien « Le Petit serin en cage » et ses miaulements de chat qui tendent vers le burlesque ; mais pour le reste, le comique et les inspirations populaires ne sont jamais totalement exempts d’une mélancolie, d’une profondeur derrière l’apparente futilité du texte. On navigue entre les contemplations et les regrets, les illuminations et les chimères ; et si l’humour est bien là, il ne vient jamais seul – que ce soit la timidité touchante d’un jeune « Coquebin », ou la désillusion d’un mari trompé (« Bonjour Monsieur »).
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Cyrille Dubois aborde ces mélodies sans chercher à tout prix une esthétique lyrique : le ténor semble jouer avec la fragilité vocale, en tester les limites et les contours, quitte à être moins précis, tant que cela sert l’expression. Il est, surtout, d’une sensibilité constante, ce qui n’empêche pas de grands et beaux déploiements lyriques, notamment lorsque Beydts sollicite l’aigu de la tessiture (voire le suraigu, dans l’onirique « Oiseau bleu » sur un poème de Paul Fort).
Il faut dire que le ténor est remarquablement secondé par Tristan Raës, qui montre une fois encore son talent lorsqu’il s’agit de dépeindre des atmosphères. Il y a bien sûr toutes les mélodies où l’eau sert de décor au poème (« Quelle douceur dans mes pensées », « A la fontaine », « Le Pont Mirabeau »…). Il y a aussi les pages comiques ou d’inspiration populaire, où l’instrument commente le texte. Mais il y a surtout ces cycles qui sont un monde à eux seuls, comme les Quatre Odelettes sur des poèmes d’Henri de Régnier. Là, le piano de Tristan Raës se charge d’un jeu plus dense et mélancolique. Et même si l’on entend, sur l’ensemble de l’album, une continuité stylistique, chaque pièce constitue en soi un parcours musical, émotionnel et narratif.
Une lecture raffinée et sensible, à l’image de la musique de Beydts qui n’a rien en elle qui pèse ou qui pose. Une musique qui se fait poésie elle-même : et tout le reste est littérature ?
Pourquoi on aime ?
- Pour la musicalité des poèmes et la poésie de la musique
- Pour la quantité d’inédits (la quasi-totalité de l’album !)
- Pour la grande sensibilité de l’interprétation
- Parce que « Le Pont Mirabeau » est encore plus beau mis en musique
C’est pour qui ?
- Les amoureux de la poésie, qui veulent varier les plaisirs
- Ceux qui pensaient tout connaître de la mélodie française, comme ceux qui n’y connaissent rien