AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueLa musique médiévale : c'est okaaaay !

La musique médiévale : c’est okaaaay !

FESTIVAL – Le festival Musiques Vivantes, dans l’Allier, met plus que jamais à l’honneur des musiques de toutes époques à l’occasion de son quarantième anniversaire. Il y a du contemporain, du romantique, du baroque…et même du médiéval. Allez, on ouvre la boîte à troubadours !

« Mais qu’est ce que c’est que ce binz ! ». À la lecture du programme qui lui est proposé là, dans la somptueuse abbatiale du village d’Ébreuil, dans l’Allier, le spectateur a de quoi exprimer sa surprise. Comment, un programme médiéval, en l’an de grâce 2024 ? Mais oui, du médiéval ! Après tout, la musique n’a pas attendu Vivaldi et Haendel pour donner matière à festoyer en faisant bombance.

Peste and Love

Alors, les musiciens de la Camera delle Lacrime qui prennent place là religieusement, devant l‘autel, sont tout sauf de drôles d’estrangers à l’heure de débuter leur spectacle centré sur le fameux recueil du Decameron. Encore un « binz » ? Non, une œuvre littéraire directement venue du Moyen-Age, donc, dans laquelle l’écrivain florentin Boccace, héritier de Dante Alighieri, raconte en dix journées l’exil d’un groupe de jeunes gens fuyant une épidémie de peste noire sévissant à Florence. Tous se retrouvent dans une campagne « idyllique », et inventent des histoires, à tour de rôle, qui font côtoyer notables et paysans, rois et reines, jouvenceaux et vieillards. Mais ces dix histoires ont une même « orientation poétique » : l’amour, évidemment, qu’il faut bien sûr célébrer par le mot, mais aussi en chanson, façon improvisation au coin du feu à la tombée du jour.

Mais parce qu’il s’agit de faire définitivement bonne ripaille avec ce texte surprenant qui a de quoi captiver les esgourdes, la Camera delle Lacrime fait le choix d’adjoindre au tout une double partition : celle de la musique de Guillaume de Machaut, compositeur françois fécond au XIVème siècle ; et celle de Hændel, dont sont ici greffés des récitatifs semi-parlés issus de l’opéra Acis et Galatéé. Le tout formant donc une formule détonante pour remonter te temps façon Godefroy de Montmirail auprès du mage Eusebius. « Per Horus, et Per Ra !… ».

Un programme point foldingo !

Et comme elle fonctionne, la drôle de formule ! Une heure durant, l’auditoire se trouve envoûté par ce spectacle en dix parties, où rois et reines d’un jour se posent mille questions : « Qu’est ce que la bonne fortune ? Comment orienter son destin ? Comment reconnaître l’amour ? Et au fond, qu’est ce qu’aimer ? ». Et ces troubadours en exil d’y répondre formidablement, par l’usage de leurs voix, de leurs instruments, et de leurs corps aussi.

À la tête de ce drôle d’ensemble semblant surgi d’un autre âge, Bruno Bonhoure se démarque particulièrement, lui le co-fondateur de cette Camera delle Lacrime aux côtés de Khaï-Dong Luong, scénariste et metteur en scène. Lui, ce poète du mot et du son tout droit venu de l’Aveyron, prend un malin plaisir à faire sienne cette œuvre atypique, en sifflant, en dansant les yeux fermés, comme habité par son texte, et même en dirigeant d’une main quand l‘autre joue du tambour ou du psaltérion (un genre d’instrument de poche, qui est à la harpe ce que le ukulélé est à la guitare). Surtout, ce chef d’une communauté se voulant ici quasi monastique, sait aussi chanter, avec sa voix suave, sa diction (très) travaillée, et ses idéales manières de recitar cantando (réciter en chantant), lui permettant de lustrer chaque mot pour en tirer toute la substantifique moelle poétique.

À ses côtés, demoiselle Clémence Montagne a des façons non moins délicieuses d’étirer ses phrases, de leur donner tout leur relief littéraire, en faisant usage d’un soprano sachant parer, et prendre des teintes évanescentes, mystérieuses, monacales. Une voix que l’on a envie d’entendre au coin du feu, à toute époque. Le damoiseau Lucas Bedecarrax s’illustre aussi, avec son baryton charpenté lui conférant une autorité sonore propre à faire reculer les mauvais sorts, assurément.

© Festival Musiques Vivantes

Quant à Dalaijargal Daansuren, qui maîtrise aussi bien la vièle mongole que le tambour chamanique, sa voix n’est pas seulement d’un grave sépulcral : elle sait aussi produire des sons surprenants, façon beatbox, comme pour incarner les dangers d’une nature environnante qui, la nuit venue, peut sans doute se révéler hostile. Mais heureusement, il y a les sonorités bien plus réconfortantes de l’orgue portatif et de la flûte traversière d’Inès Trientz pour apaiser les mœurs et les cœurs, en concluant que « chaque chose en elle- même est bonne…sauf si elle est mal employée ». Les Shadocks n’ont qu’à bien se tenir…

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Ainsi, après que Bruno Bonhoure a annoncé, en fendant la nef avec ses compères, qu’« ici, au dixième jour, se termine le Decameron », c’est un vrai plaisir que manifeste le public, qui n’a pas eu à prendre de la juvamine pour rester captivé une heure durant par ce spectacle bien-nommé Visions amoureuses, aux frontière de l’instrumental, du vocal, et du théâtral. Alors, oui, du médiéval, cela peu paraître un peu foldingo. Mais en l’espèce, tout n’est que réussissement ! Définitivement, une telle audace, c’est okaaaay !

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