FESTIVAL – C’est un rendez-vous dont le nom est une invitation au dépaysement autant qu’une ode à la gourmandise : le festival des Monts de la Madeleine. Un événement qui sent bon la rosée du matin et les forêts de pin, et dont les concerts se prêtent plus que jamais à être évoqués façon questionnaire… de Proust, évidemment ! Exemple ici, lors d’une douce soirée bourbonnaise.
Si ce concert était… un lieu ?
Il serait une église, bien sûr. Car ce sont bien ces édifices, emblèmes du patrimoine local, qui servent d’écrin chaque été à ce festival des Monts de la Madeleine qui doit son nom à ce massif étendu entre les départements de la Loire et de l’Allier. C’est là, sur ce vaste territoire, paradis des amateurs de ballades et de cueillette de champignons, que se tient depuis 21 ans ce rendez-vous n’ayant pour autre vocation que de faire vivre la culture en milieu rural. Et elle prend en effet une belle bouffée d’oxygène, la culture, lors de ce rendez-vous fixé dans la charmante église du village du Donjon, cité aux 1.030 âmes, où les habitants ont fait une infidélité aux JO et aux exploits de Léon Marchand pour venir assister à un concert d’exception. Certes sans Lady Gaga et Celine Dion, mais avec un chouette programme quand même.
S’il était…un répertoire ?
Là, ce serait un ami nommé éclectisme. Trois semaines durant, les villages des Monts de la Madeleine entendent résonner les notes issues d’un large catalogue, allant de Beethoven, Schubert et Dvorak, aux plus récents Zoltan Kodály et Jörg Widmann. Il y a même de la musique tzigane et cap-verdienne ! Rien qu’en cette douce soirée donjonnaise, il y a de quoi faire : sont ainsi convoqués le « classique » Mozart, le post-romantique Borodine, et la plus moderne Rebecca Clarke. Clarke, une violoniste et compositrice britannique active au début du XXème siècle et dont est ici joué un Poème pour quatuor à cordes empreint d’une mélancolie qui évoque moins le fog londonien qu’une certaine forme de tristesse face un passé douloureux et un avenir incertain (mais l’œuvre n’a-t-elle pas été écrite dans l’entre-deux guerres ?).
S’il était…une émotion ?
Assurément, elle serait le plaisir. Celui que prend le public à venir écouter un concert comme la promesse d’une parenthèse hors du temps où il n’y aurait plus de tracas ni de tourments. Juste un bonheur simple. Car comment ne pas en prendre, à l’écoute de ces instruments du Quatuor InFine aux sonorités suaves venant résonner haut et loin sous les voûtes de l’imposant édifice religieux, avec des forte capiteux, des pianissimo de soie, et des choix de tempo brassant toute une palette d’allures propres à capter durablement le public.
Lequel apprécie particulièrement ce troisième mouvement Andante du Quatuor de Borodine, au Cantabile si lyrique et poignant, venu rappeler à quelques-uns un court extrait de « Tuer n’est pas jouer », où apparaît une espionne de l’Est qui est aussi une brillante musicienne. James Bond ne peut y résister, évidemment. Alors, oui, de Borodine à Mozart en passant par Clarke, tout n’est ici que bonheur à l’écoute d’œuvres sans temps morts, où les mouvements s’enchaînent comme les chapitres d’histoires contées au coin du feu par des narratrices enchanteresses.
S’il était…une réaction chimique ?
Ce serait la fusion, bien sûr. À l’image de celle opérée par les membres de ce quatuor venus servir avec entrain ces partitions ne requérant rien d’autres qu’une osmose la plus totale dans les rangs de ses interprètes. Une osmose qui saute ici aux yeux (ou aux oreilles, pardon), avec ce plaintif Poème de Clarke, donc, mais aussi avec ce Quatuor de Borodine au motif rythmique entêtant, introduit par le violoncelle et bientôt repris au violon, les croches répondant aux noires dans un dialogue enflammé, avant qu’une ou deux blanches du violon II et de l’alto ne viennent offrir une petite respiration.
À lire également : Proust du côté de chez Shani Diluka
Et puis il y a ces Dissonances de Mozart, où dièses et bémol confèrent aux premières mesures une atmosphère toute particulière, atonale, presque affligée, en net contraste avec un Allegro final ben plus enflammé. Mais qu’il s’agisse de dire la tristesse, la nostalgie, la joie, les coups d’archets sont tout aussi maîtrisés de la part de Clara Abou (violon 1), Virginie Turban (violon 2), Catherine Demonchy (alto) et Claire-Lise Demettre (violoncelle). Des artistes qui ont la fibre musicale calée sur les mêmes pulsations, avec des coups d’archet qui se répondent autant qu’ils se superposent. De la fusion, on vous dit !
Et s’il était…une citation ?
Elle aurait été de Proust, of course. Lequel tenait à peu près ce langage, dans À la recherche du temps perdu : « Je me demandais si la musique n’était pas l’exemple unique de ce qu’aurait pu être (s’il n’y avait pas eu l’invention du langage) la communication des âmes ». Assurément, les âmes réunies là, dans l’église d’un village où les concerts classique ne sont pas si fréquents, ont eu de quoi ressortir plus légères, toutes gagnées par le même bonheur d’avoir pu s’enivrer de ces notes bondissantes, grisantes, et surtout si charmantes. Alors, si le public avait un message à faire passer aux artistes en fin de représentation ? Celui-ci est un merci sincère doublé d’un grand bravo, le tout matérialisé par de chaleureux applaudissements.