FESTIVAL – À l’image des festivités musico-gourmandes d’antan, le Festival Bayreuth baroque invite un grand chef qui propose un menu composé des notes piquées qui titillent les palais, sons pincés qui caressent les oreilles, accords pétillants qui chatouillent les narines. Notre top chef pour aujourd’hui : Christophe Rousset !
La rentrée scolaire et la reprise du travail peuvent être particulièrement cruels pour les vacanciers du mois d’août. Comme souvent, la soudaine besogne de se lever tôt, de déposer les gosses à l’école et d’être au travail dès 8h et non pas à la plage (oui les Allemands commencent tôt !) : tout ça s’accompagne d’un temps de chien, de pluie, de froid, et d’une mauvaise humeur qui nous pousse à questionner le sens de la vie… Pour alléger cette corvée à ses concitoyens (les touristes oisifs ne comptent pas), le festival Bayreuth baroque organise, dans le cadre somptueux du palais Ermitage, une pause déj musicale, servie par un chef français de grand « Talens », Christophe Rousset. À taaable! Le repas commence.
Entrée lugubre
Pour démarrer le banquet, Rousset propose une suite de Couperin dont le titre du premier service est à l’image de la déprime post vacances citée plus haut : Allemande – “La Ténébreuse”. De cela s’ensuivent deux courantes, avant d’arriver à la Sarabande “La Lugubre”. C’est un choix tactique pour faire entrer doucement en matière les auditeurs souffrants et en quête de ressourcement d’âmes et de gosiers. Rousset rehausse le goût de cette délicatesse baroque par une texture fine et claire, une ornementation savante et un phrasé expressif qui résonne fort dans les esprits des dégustateurs. Le jeu est très fluide et stylisé, avec une technicité irréprochable qui nous amène à l’emphase de cette première partie : Chaconne “La Favorite”. Le soleil brille soudain dans ce Temple de musique : il apaise les âmes et fait cesser les grincements de dents. On range les couverts, et on passe à la suite.
Volaille
Et voilà une arme redoutable de notre top chef. Une fois public amadoué, place à Rameau ! Si sa Suite débute elle aussi par une Allemande, cette fois elle n’a rien à voir avec la lourdeur ténébreuse, mais d’une pétillance brillante qui va crescendo dans chaque nouvelle danse. Le toucher est énergique, puissant, mais surtout très enjouée et rythmique, avec des ornementations en abondance. Les fioritures présentes toutes les deux notes sont rendues avec beaucoup de subtilité et d’assurance : un grand spectacle gustatif qui atteint son sommet dans un “Rappel des Oiseaux”, si riche… Christophe Rousset achève cette partie en maîtrise, et ravive tous les sens avec un “Tambourin” hors de ce monde…
Vin et fromages
Après une volaille très cocorico, la troisième phase est toute aussi française : un petit coup de vin sur le fromage : cuvée Antoine Forqueray (1747). L’Allemande de sa première suite en ré mineur fond dans la bouche bien qu’elle soit riche en texture. Le fromage “La Cottin” (deuxième danse), par sa pâte moelleuse et ses gammes descendantes offre des émotions inattendues, une sorte de mélange sucré-salé. Christophe Rousset fait sautiller les notes avec une élégance et une facilité délicieuse, le tout bien arrosé d’une très tanique “Portugaise”, un vinho tinto aux accords puissants et aux saveurs typiquement ibériques. Les grappes de notes résonnent dans les oreilles comme les grappes de raisin dans les oreilles, dans un style baroque qui fait scintiller la musique, pour le pur bonheur des convives.
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Le chef Rousset propose un digestif en bis à son choix, avant d’être salué et remercié généreusement par un public qui, une fois congédié, reprend ses activités quotidiennes avec un sourire au visage et un peu de paix dans l’âme. Nous en France, on connaissait déjà le secret d’un jour de semaine : une bonne pause déj !