LSO, raconte-nous une histoire !

CONCERT – Dans le cadre du weekend « Mahler Perspectives », la Philharmonie de Paris invite le London Symphony Orchestra et son chef Antonio Pappano pour la symphonie Titan ainsi que Yuja Wang pour le Concerto pour piano n°2 de Chopin. Une grande soirée par un orchestre en grande forme, devant un public conquis.

« Cette symphonie que nous venons d’entendre, [Helen] lui donne des significations du début à la fin, la transforme en littérature. Je me demande si le jour reviendra où la musique sera traitée comme de la musique. Pourtant, je ne sais pas. Il y a mon frère – il traite la musique comme de la musique et, mon Dieu, il me met plus en colère que n’importe qui » écrit E.M. Forster dans son roman Howards End. Alors, littérature ou son pur ?

Invité prestigieux de la Philharmonie de Paris, le London Symphony Orchestra séduit le public par le son fabuleux qu’il fait entendre. Mais ce qu’on aime le plus, c’est encore lorsqu’il nous raconte des histoires…

Il était une fois…

Avec l’Ouverture de concert op.12, Karol Szymanowski offre une occasion assez fabuleuse à un orchestre de briller : dès ses premières notes, fracassantes, qui relèvent davantage du climax que de l’incipit, la partition offre tout un parcours musical faisant la part belle aux différents pupitres. Une carte de visite qui permet d’entendre les spécificités d’un ensemble et, pour le dire clairement, ce qu’il a dans le ventre.

Avec Antonio Pappano à la baguette, le LSO a de toute évidence besoin d’un sacré tempérament : d’emblée le son est saturé sous les cuivres et les cymbales, dans un fortissimo presque assourdissant ; et si on croyait avoir atteint le maximum de décibels, l’orchestre nous détrompe rapidement et explose le sonomètre dès que l’occasion se présente. Du son, du son et encore du son – magnifique il est vrai, avec ses cordes qui parlent comme un seul homme, et à grands renforts de glissandi aux violoncelles. Mais le fortissimo écrase tout : les voix, les timbres, les matières. On a l’ouverture mais pas les péripéties, comme si tous les personnages parlaient en même temps et à pleine voix.

Impressionante impressioniste

Cette pièce était surtout l’occasion de préparer le public venu en nombre pour entendre Yuja Wang dans le Concerto pour piano n°2 de Chopin.

Dire que sa technique est magnifique serait un truisme : l’exactitude des traits, la précision rythmique, l’éclat du son : tout y est. Son approche de Chopin peut surprendre en revanche, car le jeu de Yuja Wang est bien plus perlé que chantant là où l’on aurait pu attendre de grands déploiements lyriques – notamment le deuxième mouvement. Il n’y a pas d’expression d’un sujet ou de rhétorique : ce sont des notes qui se déploient dans l’espace, éclatantes. On est là aussi dans un travail sur le son pur, bien plus pictural que littéraire. Etonnamment, c’est l’orchestre qui apporte le plus de moelleux au son : il y a ce magnifique chant des contrebasses dans les premières pages, puis le solo de basson du Larghetto. Le LSO y est d’un grand relief et d’une grande expressivité, jusqu’aux pages joyeuses de la mazurka du troisième mouvement. 

© Charles d’Hérouville

Même toucher perlé et lumineux dans la Valse op.64, n°2 donnée en bis, tout en retenue, avant que le Precipitato de la Sonate n°7 de Prokofiev ne permette à Yuja Wang de laisser éclater un jeu musclé et profond : moins narratrice que pianiste de couleurs et d’impressions, ou que sculptrice du son. 

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Les sons et le sens

Le public de la Philharmonie était enthousiaste après la prestation de la soliste ; il fut carrément en délire après la Symphonie n°1 de Mahler. Le public des grands soirs, qui ne cache pas sa joie : car le LSO et Antonio Pappano nous livrent une interprétation superlative de l’œuvre.

© Charles d’Hérouville

Les excès du Szymanowski totalement disparus, le chef offre une lecture raffinée, équilibrée, pleine d’esprit. On entend sa longue expérience lyrique dans sa manière de nous raconter une histoire et de construire dramaturgiquement la partition : la forêt du premier mouvement, le Ländler du deuxième, la marche funèbre et la parodie du troisième… L’auditeur est totalement immergé dans une narration, servie par des cors et des violoncelles splendides ainsi que par les qualités individuelles des instrumentistes lors des divers solos. L’équilibre y est parfait : la beauté des timbres de l’un des premiers orchestres au monde, et cette passion mahlérienne pour le récit. Entre son pur et littérature, le LSO n’a pas choisi.

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