CONCERT DESSINÉ – Pour son concert de rentrée, La Monnaie frappe fort, avec un programme en écho avec l’opéra actuellement à l’affiche. Depuis mi-septembre, la maison d’opéra a ouvert son programme avec un Siegfried en roman initiatique grâce à la mise en scène signée Pierre Audi. Cette fois-ci, c’est avec un trio d’opus, la Kammersymphonie d’Arnold Schönberg (1906), L‘Idylle de Siegfried de Wagner (1870) et L’Histoire du soldat d’Igor Stravinsky (1918) que la magie opère.
Toujours fidèle à une thématique explorant l’enfance en chacun, le dessinateur invité, Reinhard Kleist, propose une interprétation visuelle de l’opus de Stravinsky, grâce à un dispositif ingénieux d’illustration en direct, en dialogue avec le conteur Sébastien Dutrieux incarnant le soldat, et Audrey Bonnet en diablesse.
Divine Idylle
L’Idylle de Siegfried (1870) est composée par Richard Wagner, compositeur de génie, mais aussi père de son troisième enfant : Siegfried. Ce morceau fut conçu comme un cadeau d’anniversaire pour les 33 ans de Cosima Wagner, son épouse adorée – et fille de Franz Liszt, ce qui, avouons-le, n’est pas négligeable dans le pedigree. Jouée pour la première fois (à 7h30 du matin !!), devant la porte de la chambre de Cosima, par un petit orchestre de 15 musiciens (positionnés discrètement dans l’escalier), l’Idylle se veut une symphonie d’intimité, de paix et d’amour rayonnant.
Comme à son habitude, Alain Altinoglu marque son interprétation par une lecture élévatoire. Les sonorités fines et acidulées de la Siegfried Idyll résonnent en écho à LA grande œuvre qui, contrairement à la petite version de 20 minutes offerte à Cosima en tant que réveil, s’étire sur 5h30 d’opéra.
Toujours dans le cadre des célébrations d’anniversaire, l’honneur revient désormais à Schönberg, car cette année marque le 150e anniversaire de la naissance du compositeur. Né à Vienne, en Autriche, le 13 septembre 1874, Schönberg est au cœur des festivités avec une Kammersymphonie (1906) ultra expressive sous la baguette d’Altinoglu. Tout comme son prédécesseur Wagner qui acceptait de changer les règles du discours musical en utilisant la dissonance et le chromatisme (plus petit intervalle entre deux notes), Schönberg offre un paysage émotionnel quasi cinématographique. Musique d’image entre le faire et le défaire, les notes rappellent les heures d’or du cinéma, de la musique nerveuse et acide des premiers thrillers aux notes de bassons sombres et intime de la composition qu’il considère lui-même comme la « tentative de création d’un orchestre de chambre ».
Théâtre de guerre
Présentée quelques semaines avant la fin de la Première Guerre Mondiale, L’Histoire du Soldat est conçue par Stravinsky comme un « théâtre ambulant, avec des moyens limités au maximum, facilement transportable d’un endroit à l’autre et pouvant être présenté dans des locaux modestes ». Moins coûteux qu’un opéra, ce spectacle vise à surmonter les pénuries et privations engendrées par la guerre. Inspiré par son enfance passée dans les théâtres itinérants russes, le compositeur crée une œuvre hybride avec une trame narrative à la fois simple et sombre.
L’histoire se déroule en Suisse, où Joseph Dupraz, un soldat en permission, échange auprès du Diable son violon contre un livre magique. À son retour, il découvre qu’il a perdu trois ans et que sa mère ainsi que sa fiancée ne le reconnaissent plus. Bien qu’il devienne riche, le bonheur lui échappe et il retombe sous l’emprise du Diable. Dans cette production, le Diable, incarné par Audrey Bonnet, apparaît sous les traits d’une femme. L’actrice française avait déjà marqué les esprits en 2019 avec sa Jeanne d’Arc au Buchet, mise en scène par Castellucci, et son rôle ici est plus distant et détaché (n’hésitant pas à s’appuyer sur le fameux livre pour y cacher ses lignes en cas d’oublis).
Plus maitrisé, le jeune soldat est interprété par Sébastien Dutrieux, qui offre une performance puissante et autoritaire, soutenue par son expérience de narrateur dans le Carnaval des animaux de Saint-Saëns et Le Neveu de Rameau de Diderot précédemment à La Monnaie.
Le Diable est dans les détails
La narration, soutenue par les dessins habiles et vifs de l’artiste allemand Reinhard Kleist, plonge le public dans l’enfance, rappelant le succès récent de Siegfried de Pierre Audi. Pour chaque mouvement de la composition, un nouveau dessin est proposé, l’artiste réalisant le décor sur sa table, filmé par-dessus l’épaule.
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Le dessinateur Reinhard Kleist est un amoureux de la ligne musicale, en témoigne ses productions autour de Kick Cave, David Bowie, Johnny Cash… efficace, radical et vif, les lignes apparaissent en arrière-plan des musiciens. Le visage de Sébastien Dutrieux est reconnaissable et esquissé rapidement, tandis que le Diable au bonnet pointu occupe la scène de La Monnaie avec un talent indéniable.
Pour ceux qui voudraient se replonger dans l’histoire du soldat, la version de Cocteau dans le rôle du lecteur, Peter Ustinov est en libre accès !
Demandez le Programme !
- R. Wagner – Siegfried-Idyll, WWV 103 (1870)
- A. Schönberg – Kammersymphonie Nr. 1 Es-Dur op. 9 (1906)
- I. Stravinsky – Histoire du soldat (C.F. Ramuz), K 029 (1918)