CONCERT – Ce mercredi 2 octobre, Klaus Mäkelä dirigeait l’Orchestre de Paris pour le public de la Philharmonie, venu écouter la 9e symphonie de Mahler. Impressions d’une soirée de grand funambulisme.
Embarquer pour la 9e de Mahler, c’est se disposer à ces frissons que donnent les contemplations sublimes. C’est la promesse d’une errance subtile, composite, exigeante, sophistiquée. Une odyssée psalmodiée, un panorama patiemment déplié au gré des solos livrés à bout de souffle, au bord de l’abîme.
Quand Mäkelä fait un malheur
Cette symphonie est un bijou de travail des timbres. Un poème aux mille vers, avec en ouverture un « Andante commodo » chatoyant et caressant comme la moire, fait d’emportements de cordes imprévisibles, de sourdines et de sforzandos. Ce sont des cuivres taquinant le pianissimo, des hautbois rougeoyant comme le crépuscule. C’est un premier violon dansant sur le vide, un piccolo entêté, des harpes, des phrases frêles et délicates murmurées au détour d’un tutti orchestral dramatique.
La 9e de Mahler, c’est aussi un deuxième mouvement, avec son basson infatigable, ses thèmes guillerets entonnés par les vents, pris d’une furie de trilles. Pétillants, bonhommes, grondants aussi – bref, les vents dans toute leur splendeur, soutenus par des percussions elles aussi en pleine forme. La 9e, c’est encore le « Rondo-Burleske », troisième mouvement très cinématographique, authentique fresque bariolée et enlevée, qui se suspend momentanément sur une incroyable contemplation éthérée, et finit, malicieuse et grandiose. La 9e, c’est enfin le célèbre « Adagio » final. Des cordes pudiques mais déchirantes. Un contrebasson ténébreux qui vous marque à l’âme. Et ce puissant crescendo orchestral de mi-parcours qui vous cueille et vous laisse pantois – exact miroir de la fin de ce mouvement, toute dégressive. Le contraste était saisissant.
À bout de souffle
Mäkelä a fait du grand Mäkelä. Il fallait le voir se pliant, se courbant, sautant, s’agitant – mais aussi suspendant la pantomime, guidant d’un mouvement imperceptible un soliste, s’effaçant pour laisser la masse orchestrale finir seule l’effort. Tout ça commandé d’une main de maître, le visage serein et enthousiaste. Dans cette soirée d’équilibrisme, il fut le fil conducteur, un fil auquel public et musiciens se suspendaient, un fil tendu sur le gouffre du silence.
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Aussi, même si la narration pouvait parfois nous perdre dans son déroulé, ce concert s’imposa à coups d’évidences. Evidence du lieu : la Grande Salle Pierre Boulez décuplait à merveille la puissance de cette oeuvre – sa formidable acoustique s’accommodant aussi bien de l’intimité que de l’ampleur de l’écriture orchestrale. Evidence ensuite du choix de la direction d’orchestre: quoi de plus logique que de voir cet orfèvre des silences, ce joaillier impeccable dans son smoking, s’emparer de cette oeuvre pour la livrer au public parisien ? Evidence, enfin, du fait que la 9e de Mahler est décidément une oeuvre qui résiste, et qui doit s’écouter, se réécouter, et se réécouter encore pour nous livrer tous ses secrets – ce qui n’empêcha pas le public transi de se lancer ce mercredi soir dans des applaudissements frénétiques, contenus pendant une heure et demi – avec plus grand succès que les quintes de toux des inter-mouvements !