COMPTE-RENDU – La compagnie Les Frivolités Parisiennes rend à « Ubu Roi » d’Alfred Jarry, l’un des chefs-d’œuvre du théâtre surréaliste/absurde, sa musique de scène composée par Claude Terrasse… On aurait préféré rester au contoir :
Merdre !
(comme le dit ce fameux personnage dès le premier mot de la pièce et puis à tout bout de phrase)
Le père Ubu n’est donc plus ubuesque ?
Merdre alors !
Ce serait un comble. Ce serait même ubuesque nous direz-vous…
Sauf que ce père Ubu ne l’est ici ni assez, ni trop peu.
Il faut dire (pour reprendre une autre de ses interjections régulières) que si sa fameuse « chandelle verte » n’est pas morte, elle n’a plus le feu d’antan. Il fait son âge le père Ubu… 129 ans ! et à force de vouloir arracher les dents de ses ennemis, lui non plus n’a plus ce mordant qui croquait si fort la société d’antan. En tout cas pas dans cette version fort sage mais qui ne va pas non plus jusqu’à jouer la Sagesse et la grande tradition théâtrale qui auraient pu renforcer le vitriol du propos par contraste.
Le manque de contraste, c’est justement là que le bât blesse.
La faute à qui ? À la clairvoyance de ce brûlot, et à la folie de notre monde qui rendrait désormais Ubu presque banal. Un petit chef mesquin encouragé par son ambitieuse épouse, aussi maline dans l’ombre qu’il est bête et vulgaire dans la lumière, forme ce couple bien décidé à conquérir le pouvoir, pour s’en mettre plein les poches. Père Ubu n’accepte de distribuer de l’argent que pour mieux accabler le peuple d’impôts, et Mère Ubu le sermonne de si mal se comporter… pour mieux le voler à son tour. Difficile de trouver Ubu ubuesque s’il ressemble désormais à ce point à la norme.
La faute à qui ? disions-nous… Aussi au métier incontestable du compositeur, et des musiciens des Frivolités Parisiennes. La partition et l’interprétation sont impeccables. Trop. Claude Terrasse signe une musique de scène des plus classiques, une succession d’intermèdes illustratifs, littéraux : du rataplan pour ponctuer les batailles aux prières en choral. L’exécution des Frivolités Parisiennes n’a rien de frivole, aucune fantaisie.
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Ubu enchaîné
La mise en scène de Pascal Neyron repose sur des tuyaux d’aération industriels, qui servent d’abord de rideau puis tombent et sont récupérés par les personnages pour faire office de cuirasses, armes, montures, cachettes. Mais cette idée apparemment fantasque vient encore plus corseter des épisodes très figés en tableaux : devant ou face à l’orchestre, installé en fond de scène.
Ubu cocu ou l’Archéoptéryx
Le Père Ubu en jean-doudoune (touche de modernité qui devient neutralité) est incarné par Paul Jeanson qui manque un peu d’R oubliant notamment le deuxième dans « Merdre », c’est embêtant !
La Mère Ubu de Sol Espeche en tire d’autant plus son épingle du jeu, offrant un grand numéro complet, du complot à la séductrice en passant par une galerie d’imitations et de voix originales. Royale !
Le Roi (Jean-Louis Coulloc’h) alterne investissement et distance tandis que la Reine (Nathalie Bigorre) use à plein son timbre éraillé. En Capitaine Bordure, Emmanuel Laskar, manie mieux le bâton de majorette (son arme mortelle) que le jeu. Elisabeth de Ereño est un Bougrelas caractériel.
Les musiciens des Frivolités Parisiennes campent également de bien sages rôles figurants.
Paralipomènes d’Ubu
De ce spectacle, on ne dira toutefois certainement pas que « c’est de la merdre », ni même comme on l’eut craint que le public eut bu le calice jusqu’à la lie… car il salue le spectacle de chaleureux bravos et applaudissements.
Merdre alors ! le Père Ubu l’a encore emporté…