COMPTE-RENDU – La comédie musicale tirée du film culte « La Haine » fait vibrer La Seine Musicale avant une grande tournée durant toute la saison.
« JUSQU’ICI RIEN N’A CHANGÉ »
C’est l’histoire d’un film qui continue de marquer des générations depuis 30 ans. Un film qui raconte l’histoire parabolique d’une chute dans la violence : celle des protagonistes, à l’image de la société. C’est l’histoire d’un film qui raconte l’histoire d’un mec qui tombe d’un immeuble de 50 étages et qui se dit en tombant, pour se rassurer : « jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ».
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Sauf que la violence s’installe, perdure, se perpétue, et engendre la violence, au point d’une chute permanente, une spirale sans fin où il n’y a plus d’atterrissage en vue, en violence ou en douceur. Plus que des chocs violents s’enchaînant les uns après les autres.
Le film La Haine nous confirme d’autant plus trente ans plus tard combien les choses n’ont pas changé. La comédie musicale La Haine le souligne également par de légères actualisations du propos mais qui le rendent d’autant plus intemporel : des arnaques sentimentales sur internet avec l’IA, des réseaux sociaux et hashtags, Naruto, le PSG sans Mbappé, si Bardella passe j’me barre-de-là…
Même le fameux mashup musical scratché associant Non, je ne regrette rien d’Edith Piaf et Sound of da Police de KRS-One est ici enrichi du Pookie d’Aya Nakamura (également citée en fin de soirée avec fierté comme envers la Garde républicaine pour leur feat aux JO). Les autres morceaux remixés sont passés par la case trap, ceux écrits le sont sur des rimes assez faibles.
Cette dynamique, cette vitalité de la nostalgie est aussi renforcée par le dispositif scénographique très bien pensé dans cette mise en scène de Mathieu Kassovitz et Serge Denoncourt : le centre du plateau tourne et fait tapis roulant tandis que le fond de scène défile en vidéo de haute définition, donnant l’impression d’arpenter les rues de la cité, et même de monter par ses ascenseurs (même en panne) jusqu’aux étoiles ou d’errer dans la capitale.
L’important n’est donc plus l’atterrissage, c’est la chute y compris ascensionnelle, le trajet social, le processus artistique qu’il nous est donné de constater.
L’important pour le public de cette comédie musicale n’est visiblement pas l’atterrissage (de savoir où va l’histoire) car tous semblent la connaître, et sont là pour replonger dans la chute nostalgique consistant à re-voir animés et incarnés les différents épisodes du film. Les fameuses scènes sont sur la scène, plus vraies que nature, jusqu’à la scène culte du film citant la scène culte d’un autre film : Vinz imitant Robert De Niro dans Taxi Driver (« You Talkin’ to Me ?! ») ici en vidéo-selfie sur son téléphone.
De fait, le spectacle est une succession nostalgique d’épisodes connus, donnant d’autant plus un effet de découpage avec les divers morceaux musicaux et dansés. Ceux-ci sont d’ailleurs au final peu nombreux, le spectacle racontant beaucoup son histoire sur la rythmique entêtante ou prise-de-tête du « parlé de banlieue ».
La chute est ici une plongée à corps lancés et à voix slamées par les interprètes de ce spectacle. Le niveau artistique est bon mais hétérogène entre certains grands numéros de Breaking (chorégraphiés par Emilie Capel et Yaman Okur) ou de Rap (direction musicale du projet d’album original par Proof). La différence avec les meilleures comédies musicales (celles de Broadway qui s’est aussi ouvert aux musiques urbaines et même pour narrer l’histoire de leur pays avec Hamilton) tient justement à cette hétérogénéité, des numéros et des talents. Les artistes sont clairement spécialisés ici en danse, ou en rap ou en théâtre.
Le flow de Diam’s et d’Akhenaton (visés)
Samy Belkessa, qui incarne Saïd, anime toutefois toute la soirée par son investissement, porte le spectacle par son dynamisme et son abattage sans jamais se laisser abattre.
Aliyou Diop est Hubert, qui refuse de répondre à la haine par la haine et la canalise sur le punching-ball qu’il frappe au rythme de ses directs et crochets verbaux.
Alexander Ferrario en Vinz rallonge les syllabes pour convoquer le style vocal de SCH.
Même la police rappe, ici ! pour dénoncer son malaise dans ce spectacle qui cite et rend hommage aux victimes « de Beltrame à Oussekine ».
Wesh papy
Mathieu Kassovitz fait même une apparition (comme un caméo dans un film), pour donner la morale de la fameuse histoire de Grunwalski du film original, parlant essoufflé de celui-ci comme d’un ami de son grand-père.
L’important c’est pas l’atterrissage pour ce spectacle, aussi car il est marqué par deux atterrissages si différents, d’autant plus violents : le premier -un crash- juste après l’entracte, le second -un crush- à la fin du spectacle.
Au premier, le spectacle se sera violemment écrasé pour une partie des spectateurs assurément : parmi les choix musicaux rendus évidents par la bande-son du film et des références plus moderne, cette comédie musicale s’écrase en projetant un enregistrement du Chant des partisans comme s’il était entonné par les émeutiers de banlieue. Indigne point Godwin ou comment rendre insignifiant tout le reste du propos par l’outrance.
L’AMOUR
Ceux qui (nombreux à en juger les applaudissements) auront passé outre cet atterrissage violent, abasourdis d’un son saturé et de lumières aveuglantes, n’en acclament que davantage et debout la fin du spectacle qui modifie celle du film pour finir sur une note d’optimisme répondant à La Haine par L’Amour, affiché, clamé, slamé en gros.