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Murmures de la forêt : Rita Strohl s’enracine

CONCERT – À la Philharmonie de Paris, Case Scaglione et l’Orchestre national d’Ile-de-France redécouvrent l’œuvre de Rita Strohl aux côtés du bien connu Concerto pour violoncelle en si mineur de Dvorak : une grande soirée orchestrale inédite intitulée « Les murmures de la forêt ».

Quelques jours après la sortie de leur album consacré à Rita Strohl, les musiciens de l’Orchestre national d’Ile de France étaient à la Philharmonie de Paris pour présenter deux œuvres de la compositrice, aux côtés du célébrissime Concerto pour violoncelle en si mineur de Dvorak. 

Cri du cœur

« Les murmures de la forêt » : référence à Siegfried ainsi qu’aux cygnes et autres oiseaux qui peuplent le programme, ce titre semble bien peu représentatif de l’esprit du concert dès lors que le violoncelliste Steven Isserlis s’empare de l’œuvre de Dvorak. Car ce n’est pas un souffle, mais toute une voix qui se déploie dès les premières mesures : on a rarement vu un musicien à ce point transfiguré par la musique qu’il joue, tellement habité qu’il en semble absent.

© Jacky le Page

Dès lors, les difficultés techniques paraissent aplanies par l’engagement expressif du soliste : au lieu d’être écrasante par sa virtuosité, la partition aurait presque des airs de chant spontané. L’extrême souplesse de la main droite dans le premier mouvement, le son feutré de l’instrument dans l’Adagio, la connexion profonde que Steven Isserlis construit avec l’orchestre dans le Finale… C’est un grand moment d’expression de soi, secondé par les débordements lyriques qui traversent l’orchestre. Avec ses cordes hyper homogènes, la lumière de ses pupitres de vents et la musicalité de son violon solo, l’Orchestre national d’Ile-de France est ici dans son élément ; et leur chef Case Scaglione ne retient pas les forces des musiciens, dont la rumeur n’a rien du bruissement, et qui emporte totalement un public conquis.

Dernier cri

Composés d’après un poème de Georges Rodenbach, Les Cygnes de Rita Strohl, par leur titre et après les effusions du concerto, laissaient imaginer une partition flottante, apaisée : mais les dimensions de l’œuvre, tout à fait inédite, excèdent le genre mélodique, requérant soixante cordes, quatre cors, et n’hésitant pas à accompagner la soprano de grands tutti d’orchestre où les cuivres et les timbales ont la part belle.

© Piergab

Abordant les premières pages avec des couleurs sombres, la voix de Marie Perbost se charge progressivement d’harmoniques aiguës et navigue au-dessus de la masse orchestrale, soulignant avec soin le tragique du texte (« Car dans votre agonie, ô grands oiseaux insignes, / Ce qui chante déjà c’est l’âme s’évadant »). Les altos et violoncelles donnent une teinte un peu énigmatique à l’ensemble, qui oscille, comme souvent chez Rita Strohl, entre de longues pages introspectives et nébuleuses, et de grands éclats rutilants. C’est dans ces derniers que Case Scaglione insuffle le plus d’élan et de lyrisme à ses musiciens, comme si le son qui émanait de l’orchestre nourrissait sa direction et qu’il se laissait lui-même porter par la force des timbres.

A cors et à cris

Œuvre clé de la soirée, la Symphonie de la forêt évoque sans conteste les « Murmures de la forêt » wagnériens : par l’orchestration du premier mouvement, mais aussi par son rapport au temps. Il n’y a certes, chez Rita Strohl, aucune narration ; mais on retrouve une lenteur dans le déploiement, une quasi-atemporalité, comme si les sons de la nature émergeaient spontanément de l’orchestre.

On est très vite saisie par l’étrangeté des couleurs – notamment dans les interventions des cors et du piano. Il y a quelque chose d’inquiétant dans ce paysage, de même que dans le troisième mouvement où l’humour grinçant offre un curieux répit au milieu de pages tout imprégnées de Romantisme.

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Car cette symphonie bouscule l’auditeur par ses proportions : il y a quelque chose d’aussi fascinant qu’écrasant dans cette juxtaposition du lyrique et du tragique, de la clarté des cordes de l’Orchestre national d’Ile de France et de la richesse de ses cuivres. Une forêt fantastique, servie par des solos extrêmement soignés – notamment le violon et le violoncelle dans le dernier mouvement – et une direction musicale qui aime profondément les timbres et les couleurs, les laissant se déployer dans de grands rugissements, bien loin du murmure. Une œuvre qui donne envie de clamer le nom de Rita Strohl sur tous les toits.

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