CONCERT – L’Auditorium du Palais du Pharo, qui éclaire le Vieux Port, accueille la phalange marseillaise dans un programme éclectique. La baguette de Lucie Leguay fait tourner le grand manège symphonique autour de la violoniste italienne Francesca Dego : mesdames, faites vos jeux !
Mozart, le bijou des joujoux
L’Ouverture de L’Enlèvement au sérail, premier opéra viennois de Mozart, ouvre le jeu, avec toute sa pétillance apéritive, sa promesse d’ivresse sonore et sa joie intempestive. La battue de la cheffe Lucie Leguay est nerveuse, précise et haletante. Elle semble écrire la partition à la hâte, dans l’urgence du plaisir de l’opéra à venir. Elle semble également remonter, avec sa baguette, le mécanisme précieux d’un grand coffre à jouets. L’énergie y est toute concentrée, la matière sonore condensée, avec finesse et solidité, à la manière des intérieurs marquetés des palais viennois. Lucie Leguay parvient à extraire de la petite harmonie, notamment du hautbois, une couleur de lune. Les fugatos s’y envolent en spirales, avec transparence et légèreté. Les notes jouent ensemble mais ne se touchent pas, comme au mikado. En contraste, bien souligné, les fanfares alla turca font pleinement sonner leur instrumentarium fantastique, avec quelques effets de rémanences côté triangle et cymbales.
Mendelssohn, un jeu d’enfant
Avec le Concerto pour violon n° 2 de Mendelssohn, la violoniste Francesca Dego entre immédiatement en jeu, en connivence avec le violoniste super soliste de l’orchestre phocéen. La posture relativement statique de la soliste italienne donne du jeu à son archet, qui construit et déconstruit les longs traits inspirés du baroque que Mendelssohn place entre ses thèmes, comme pour mieux en souligner le lyrisme élégiaque, toutefois contenu et élégant. De minutieux glissandos s’effacent dès que le suraigu est atteint, avec ses longs pianissimos filés, argentins plus que plaintifs.
Les notes répétées du basson s’y faufilent avec discrétion, lançant un jeu de piste sonore, derrière le timbre de papier glacé du violon. Le mouvement lent est l’occasion de jouer aux dominos : de voir comment, de proche en proche, note après note, se construit la ligne, droite ou vibrée, depuis le premier jusqu’au dernier son. Le dernier mouvement relance la partie avec son thème d’oiseleur. Le violon est une volière dont s’échappent, à la hâte, mille oiseaux qui tentent d’atteindre, avec le ciel, la liberté. L’œuvre, à la croisée du romantisme et du baroque, selon les deux meneuses de jeu, s’écoute ainsi comme un immense trille, une longue et vaste ornementation, l’enchainement entre les trois mouvements se voulant particulièrement serré.
Chostakovitch et la roulette russe
La Symphonie n° 1, qui ouvre la quinzaine d’opus composée par Chostakovitch, met le grand orchestre en jeu, comme un puzzle complexe dans lequel chaque instrument semble avoir sa partie à apporter. L’oscillation entre écriture pointilliste et effet de masse, qui caractérise l’écriture moderniste du jeune compositeur russe, y est particulièrement audible, voire visible, dans l’engagement du geste musicien : trilles encore, rythmes pointés et répétés, franches fanfares, tandis que le son des pages tournées par la cheffe claque avec une maestria décidée. Le second mouvement montre également son urgence, sa hâte, que souligne la partie martelée et chromatique du piano, aux résonnances noyées au beau milieu de la phalange. La cheffe, de manière saisissante, lui indique ses départs, toujours explosifs, en lançant vers lui une main gauche aux cinq doigts étirés. Les instruments, tapis dans l’ombre des cordes graves dans le troisième mouvement, semblent jouer tristement à colin maillard : qui joue quoi ? C’est alors que le violon super soliste apporte de la clarté en enroulant les confettis de son suraigu à la trompette bouchée. Les jeux sont faits avec le dernier mouvement, qui déroule ses finesses sarcastiques et ses roulements de timbales jusqu’à l’emballement final.
À lire également : Lucie Leguay: « Quand on est chef, on fait face à une micro-société »
Le public, sensible à l’énergie éclatante, haletante et percutante du concert, ainsi qu’à la progression dramatique du programme, ajoute toute celle de ses jeux d’applaudissements.
Demandez le programme !
- W.A. Mozart – L’Enlèvement au sérail, Ouverture
- F. Mendelssohn – Concerto pour Violon en mi mineur
- D. Chostakovitch – Symphonie n°1