DISQUE – Pour leur nouvel album paru chez Aparté, Les Paladins se consacrent à une figure unique mais déclinée en quatre cantates : celle de Lucrèce, vue par Montéclair, Scarlatti, Haendel et Marcello, et interprétée par quatre chanteuses différentes.
Chez Aparté, Les Paladins et Jérôme Corréas proposent un album sous forme de thème et variations autour de la figure de Lucrèce, cette héroïne antique dont le suicide – après son viol par Sextus Tarquin, on le rappelle – fut bien longtemps érigé par les arts et la littérature en exemple de dignité et de sens de l’honneur.
Portraits en cascade
Quatre cantates signées Montéclair, Scarlatti, Haendel et Marcello se succèdent, comme autant de portraits de cette héroïne historique. L’occasion aussi pour les compositeurs de dessiner en creux leur autoportrait, tant ils abordent de manière variée le mythe musicalement bien sûr, mais aussi dans le choix des textes et leur approche dramaturgique. Cela suppose également des interprètes aux qualités vocales différentes, l’héroïne prenant successivement la voix et les traits de Sandrine Piau, Amel Brahim-Djelloul, Karine Deshayes et Lucile Richardot, qui trouvent chacune à exprimer un tempérament, une musicalité et une expressivité qui n’appartiennent qu’à elles.
Lucrèce protéiforme
Chez Scarlatti, Amel Brahim-Djelloul est une Lucrèce avec de la noblesse, mais surtout beaucoup de mordant dans la diction. Le large ambitus ainsi que la vélocité sollicités par le compositeur donnent un éclat au personnage tout à fait différent de la proposition faite par Marcello (sur le même texte pourtant !) : c’est pour une voix d’alto que ce dernier a pensé sa Lucrezia, explorant les profondeurs de la tessiture et flirtant avec la folie – et quelle meilleure interprète que Lucile Richardot pour ce défi ?
Haendel peint au contraire une toile aux couleurs plus douces – étonnamment douces même, lorsqu’on entend la violence du livret. Karine Deshayes y apporte la beauté de son timbre, sa virtuosité, mais aussi son sens du lyrisme, tandis que le jeu de Jérôme Corréas au clavecin sait être incisif et tragique, comme dans le très expressif « Il suol che premere ».
L’envol de Lucrèce
Mais parmi ces différentes peintures de Lucrèce, c’est peut-être celle de Montéclair qui éblouit le plus, par sa manière de mettre le texte au cœur de l’œuvre et de lui donner des contours si variés. L’interprétation de Sandrine Piau y est pour beaucoup, par les couleurs qu’elle donne à sa voix, et par l’interprétation à la fois très intérieure et immédiatement frappante pour l’auditeur. On a ici un exemple parfait de ce que le genre offre à un compositeur et à son interprète en termes d’expression de soi, de sa sensibilité, et de son tempérament dramatique.
Les Paladins, en comité restreint, parachèvent ces toiles sonores. Si le continuo occupe évidemment une place décisive dans les œuvres et dans l’enregistrement, le Concerto a cinque de Marcello laisse aux musiciens l’occasion de déployer leur lyrisme. Des pages qui, tout instrumentales qu’elles soient, offrent un moment de répit après le feu de Scarlatti, et préparent dans leur dernier mouvement les émois haendéliens sur le point de se déployer.
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Portrait d’une femme, ou portrait de femmes : cette Lucrèce a décidément bien des visages, où s’entremêlent ceux qui la mettent en musique, et ceux qui l’interprètent.
Pourquoi on aime ?
- Pour ses quatre chanteuses, aussi convaincantes les unes que les autres dans le rôle de Lucrèce
- Pour le programme, pointu mais accessible
C’est pour qui ?
- Plutôt pour les grands amateurs de baroque malgré tout