CONCERT – L’Orchestre national Avignon-Provence et sa directrice musicale Debora Waldman donnent à l’Opéra Grand Avignon un concert intitulé « Destin ». L’effectif orchestral est augmenté par des étudiants de l’Institut d’Enseignement Supérieur de la Musique d’Aix-en-Provence. Shani Diluka figure aussi sur le programme en tant que pianiste invitée.
Le Destin n’est pas toujours immuable, comme le programme de cette soirée qui a subi une modification superficielle concernant seulement l’ordre des compositions. Il est ainsi annoncé en début de soirée que le Concert pour piano n°23 de Mozart est donné en premier, à la place de la Méditation de Lucija Garuta qui passe ainsi après l’entracte. La Symphonie n°5 de Tchaïkovsky conserve sa position initiale à la toute fin du concert. La densité orchestrale progresse donc au fil d’un concert qui avance crescendo. Cet ordre permet aussi de mettre en miroir le concerto de Mozart et la symphonie de Tchaïkovski qui ont plus de points communs qu’il n’y paraît, notamment l’opposition entre le spleen (dans l’Adagio du concerto et traversant avec plus ou moins d’ampleur les premiers mouvements de la symphonie) et une lumière finale triomphale pour Tchaïkovsky, sémillante chez Mozart. Une vision partagée finalement optimiste du destin qui bien que parsemé de phase de doutes et d’obstacles laisse immanquablement la place à la félicité.
Mozart : un destin qui traverse les siècles
Si les obstacles se sont avérés brillamment surmontés, un léger doute planait lors du premier mouvement du concerto qui, bien qu’exécuté avec rondeur et souplesse manquait quelque peu de vigueur que ce soit au niveau de l’orchestre ou du piano de Shani Diluka, léger mais quelque peu endormi, du moins la première moitié du mouvement. Dès le second mouvement, la pianiste capte l’attention par la tension qu’elle créé grâce à la juste retenue de son jeu et à sa maîtrise des effets rythmiques. Accompagné par l’orchestre qui lui laisse le premier plan, le piano soliloque évoquant dans ses notes tantôt sa neurasthénie tantôt ses doux espoirs. L’effusion de vive énergie joyeuse avec laquelle l’orchestre amorce le dernier mouvement crée un parfait contraste. Sa coordination avec la pianiste y est sans faille. Cette dernière alterne savamment dans son phrasé des notes courtes et nettes avec des passages plus ronds et continus rythmant ainsi par quelques éclats riants, une sérénité de fond.
“Le destin souffle sans soufflet de forge.”
La destinée s’enflamme avec le rappel qui n’est autre que la danse du feu de De Falla (dans son arrangement pour piano). Elle saisit par sa cinétique mimant de façon saisissante le mouvement alternatif des flammes. Les évolutions dans l’interprétation font ainsi transiter les oreilles du public entre des sensations de chaleurs réconfortantes, ardentes, tièdes et parfois presque brulantes. Shani Diluka se prête pendant l’entracte à une séance de dédicace.
Placé en interlude, les ostinatos progressifs et hypnotiques de la Méditation de Lucija Garuta sont une invitation à l’introspection et à la divagation mentale,) pourquoi pas sur le destin !). Ils sont interprétés par l’orchestre avec une fluidité et une reproductibilité qui contribue à leur caractère continu et à l’effet qu’ils produisent.
Tchaïkovsky : La force du destin
La star au destin le plus glorieux de cette soirée est la cinquième symphonie de Tchaïkovsky. Les légers défauts d’articulation affectant son premier mouvement (peut-être liés au nombre important de musiciens supplémentaires, d’autant plus étudiants) et la forme globalement inégale des bois sur l’ensemble de la soirée sont très vites oubliés. Comme le fil du destin s’enroulant aussi régulièrement qu’implacablement, Débora Waldman l’interprète avec les justes tempi évitant une lenteur pesante, comme une précipitation qui relèverait plus de la passion futile que de la marche ordonnée de la fatalité.
À lire également : La playlist classique de Shani Diluka, pianiste
Dans le même esprit la puissance de l’orchestre est généreuse, permettant ainsi de rendre la majesté de cette symphonie ainsi que son caractère poignant tout en conservant le sens des équilibres entre les pupitres comme au sein de chacun. Les évolutions sont précises et signifiantes. Le climax du deuxième mouvement est ainsi amené avec des paliers progressifs, un phrasé bien ancré tout en conservant sa spontanéité et se termine par des cordes virtuoses adroitement soutenues par les vents. Le final grandiose et héroïque est suivi de salves abondantes d’applaudissements ardents venant d’un public parfaitement conscient que son destin l’a ce soir conduit à entendre un grand concert.
Demandez le Programme !
L. Garūta – Meditàcija
W.A. Mozart – Concerto pour piano n° 23
P.I. Tchaïkovski – Symphonie n° 5