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Voyage au bout de la nuit à Toulouse

OPÉRA – Le Théâtre du Capitole accueille la création mondiale du troisième Opéra de Bruno Mantovani qui, sur un livret de Dorian Astor, signe un drame historique envoûtant, aux allures de thriller psychologique et éminemment politique.

Basé sur l’ouvrage éponyme de François DufayVoyage d’Automne commence en 1949, rideau baissé, sur les retrouvailles de Marcel Jouhandeau (Pierre-Yves Pruvot), romancier, et Gerhard Heller (Stephan Genz), écrivain et traducteur anciennement en charge de la censure des publications française. Ils se rappellent les évènements entourant le Congrès international des écrivains de Weimar, en 1941, opération de propagande nazie visant à et séduire des membres de l’intelligentsia littéraire française. L’Opéra rassemble une délégation composée de personnages (réels) aux personnalités marquées ; partagés entre le plaisir d’un égo flatté et le sentiment de signer un « pacte faustien ».

Les personnages : intrigants

Le trio initial est composé de Marcel Jouhandeau, catholique homosexuel torturé d’attirance pour le charismatique Heller, Jacques Chardonne (Vincent Le Texier), élégant et dédaigneux et Ramon Fernandez (Emiliano Gonzalez Toro), au langage cru et aux traits d’humour bien placés. 

Ils sont plus tard rejoints par Pierre Drieu la Rochelle (Yann Beuron), nihiliste désillusionné et Robert Brasillach (Jean-Christophe Lanièce), jeune critique entièrement séduit par le « charme viril du Reich ».

© Mirco Magliocca

Encadrés par Gerhard Heller, ils visitent des lieux clés d’Allemagne avant de rencontrer Göbst (version fictionnelle de Goebbels) et d’accepter, de plus ou moins bon gré, de contribuer à la propagande du régime. 

Ce faisant, les personnages découvrent la réception que le Reich leur a préparé et échangent sur le monde et l’idéologie avec plus ou moins de vacuité ou d’abjection… L’intrigue amoureuse (centrale à l’oeuvre) entre Jouhandeau et Heller se développe, entre une soirée bien arrosée avec le poète Hans Baumann (Enguerrand de Hys) où tout dérape, et la distance obligée dans un IIIème Reich qui persécute tous types de « déviants ».

Thriller lyrique

L’œuvre fait clairement référence aux codes du thriller psychologique ou policier.

La scénographie se base autour d’une grande table ronde inclinée, au dessus de laquelle flotte une immense surface carrée, percée pour laisser passer un large cylindre flottant au centre de la scène, utilisé notamment pour projeter des extraits des carnet de Jouhandeau (dates, lieux, phrases marquantes, citations de Goethe…) à mesure qu’il les consigne.

© Mirco Magliocca

La musique, aux textures souvent chaotiques, clusters et lignes endiablées de hautbois et clarinette qui se relaient rappelle les codes du genre, et ce voyage nous montre des nazis en plein processus de zombification (le maquillage noir sur les visages du chœur s’étend à mesure qu’avance l’action), et un Göbst à l’allure proprement cadavérique. Notons aussi l’excellente utilisation des lumières : la scène est encadrée par trois murs de projecteurs, pouvant produire aussi bien les feux passants d’une ligne de train, l’intimité d’un salon, l’éclat d’une scène de conférence… Les machines à fumée rajoutent encore d’autre possibilités à cette scénographie relativement simple, mais terriblement efficace.

Onirique

Voyage d’Automne s’articule comme un rêve, un souvenir de Jouhandeau et le fantôme d’un sombre passé. 

© Mirco Magliocca

La musique porte puissamment l’onirisme de l’œuvre, renforcée des visuels marqués et mis en abîme par le seul personnage véritablement fictionnel du spectacle: la Songeuse (Gabrielle Philiponet), apparaissant dans trois tableaux d’entractes avec sa traîne et sa longue robe blanche. Son premier tableau est captivant de suspens : elle est en scène pendant de longues minutes captivantes accompagnée par l’orchestre avant de clore l’acte I sans avoir dit un mot. Elle chante brièvement dans le deuxième, avant de finir par s’exprimer davantage dans son troisième et dernier tableau (juste avant l’épilogue), dominant la scène de 3 ou 4 mètres de haut. 

Envoûtement musical

La partition de Bruno Mantovani est captivante et joue habilement des contrastes. L’écriture vocale reste plutôt conjointe et déclamée, aidant à la clarté du texte et des intentions, avec parfois un peu de parlé-chanté. Plusieurs passages a capella marquent les esprits (notamment le prologue, ainsi qu’un quintet très réussi).

Le chœur n’est pas en reste, ayant plusieurs numéros marquants des chants nationalistes aux consonances militaire à des cantiques touchants, évoquant un style plus ancien et renforçant là aussi le contraste ; mais c’est dans l’orchestre que la magie de Bruno Mantovani opère le plus, décuplant et soutenant l’action et le sous-texte. Voilà ses quelques traits les plus marquants :

  • Les nappes de sons qui s’enchaînent, se relaient, se calment et ressurgissent de façon imprévisible.
  • L’union de l’accordéon et de l’orchestre, pour le meilleur,
  • La part belle donnée aux bois, avec leurs lignes endiablées aux sons saturés,
  • L’utilisation de la micro tonalité (aller chercher des écarts de notes plus petit que sur un piano)… 
  • Les tonnerres de cuivres,
  • Les envolées lyriques du violon,
  • La place prépondérante des percussions.
© Mirco Magliocca

Si le style semble relativement uni, il entretient un suspens et une tension indéniable et Bruno Mantovani parvient à n’être jamais redondant. 

Après un mauvais rêve 

Voyage d’Automne nous replonge dans les aberrations idéologiques d’une époque « décomplexée » et d’un antisémitisme banalisé à la glorification d’un Reich perçu comme jeune et viril. 

Le spectacle est d’autant plus frappant qu’il ne s’abandonne pas au pathos ou à la moralisation : il montre de façon stylisée l’aliénation débridée d’une époque, d’un pays, d’une caste, et c’est d’autant plus choquant.

À lire également : Innocence à Aix : un choc pour l’histoire de l’opéra

Au delà des discussions idéologiques des écrivains, il administre une piqûre de rappel poignante lorsqu’un arrêt impromptu dans un train de nuit rend nos protagoniste témoins d’une exécution de juifs… L’œuvre se clôt sur la relation entre Jouhandeau et Heller, ce dernier lui disant d’oublier, fermant de façon énigmatique la parenthèse d’un souvenir qui a des airs de mauvais rêve. 

Voyage d’Automne est une création forte, un spectacle réussi, magistral et envoûtant,  témoignent les réactions d’un public touché et captivé !

Retrouvez le contenu vidéo complet de Voyage d’Automne sur la chaîne Youtube du Capitole

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