CONCERT – Aux côtés de l’Orchestre de chambre de Paris, la trompettiste Lucienne Renaudin Vary s’attaque au morceau de bravoure qu’est le concerto de Hummel, avant une débordante Symphonie n°7 de Beethoven qui laisse éclore la beauté des timbres de l’orchestre, au cœur d’un programme profondément européen.
Quel fil conducteur pour un programme qui s’étend de 1803 à 1938 ? Du pur classicisme de Hummel aux expérimentations de Stravinsky ? Sans doute qu’il invite le public français de la Philharmonie à regarder vers l’Est : centre névralgique de la musique occidentale, mais lieu, surtout, profondément européen de croisement des cultures.
A l’Est, rien de nouveau ?
Après le Concerto « Dumbarton Oaks » de Stravinsky, où les couleurs très américanisantes privilégiées par Giacomo Sagripanti font presque oublier les emprunts à la musique de Bach, le Concerto pour trompette en mi bémol majeur de Hummel sonne comme un pur concentré de classicisme. Pas étonnant pour l’élève de Mozart, Haydn et Salieri, mais est-ce à dire que la partition semble un peu fade et traditionnelle placée après les chatoiements et raffinements stravinskiens ? C’est bien possible, mais ce n’est pas la faute de ses interprètes – et la cohabitation des deux pièces, bien que surprenante, a quelque chose d’explosif.
La trompettiste Lucienne Renaudin Vary convainc par la douceur qu’elle insuffle au premier mouvement, lissant les contours vaillants voire martiaux de la partition. L’Andante bénéficie d’une ligne extrêmement tenue, tendue, dense, à laquelle répond le lyrisme du hautbois solo ; mais Lucienne Renaudin Vary parvient également à apporter du phrasé et de la musicalité au cœur de la virtuosité de l’Allegro : un morceau de bravoure qui en a moins l’air, d’autant plus avec un orchestre très réactif, tantôt en arrière-plan, tantôt déployant de brillants tutti, tantôt laissant les vents chanter avec la même intensité que la soliste.
En suivant le Danube
Il n’en fallait pas plus pour un public conquis par l’instrumentiste ; mais après l’allemand Bach relu par le russe Stravinsky, et un Hummel né en Hongrie mais digne représentant du classicisme viennois, voici que le tchèque Dvorak met en musique une dumka ukrainienne : dans cette Danse slave op.72, n°2, l’orchestre fait entendre de nouveau un son radicalement différent, prouvant une plasticité stylistique exemplaire. Avec ses violons extrêmement chantants et mis en valeur par le chef, c’est une esthétique profondément Romantique qui se déploie au sein de la salle Pierre Boulez, Lucienne Renaudin Vary se trouvant moins soliste que solidement intégrée à l’ensemble.
Moins virtuose, la pièce permet d’autant mieux d’entendre la qualité du son, la grande homogénéité du timbre, la conduite des phrases également. Mais on lui préfère encore la Marche miniature viennoise de Kreisler dans un arrangement de Cyrille Lehn, qui tend davantage vers la danse que vers la marche avec ses percussions et ses cuivres qui lui donnent une densité que la version originale ne contient pas de manière aussi frappante. Et en bis, ne faisant qu’un pas de Vienne à Salzbourg, un étonnant « Edelweiss » de La Mélodie du bonheur montrant l’éclectisme de la soliste, dans une version que l’on a rarement entendue si lyrique – ni si cheesy comme on dit de l’autre côté de la Manche – grâce à l’implication des vents et au soutien des contrebasses.
Europe unie
Pour clore ce voyage européen, on ne s’étonnera pas de retrouver Beethoven et sa Symphonie n°7. On s’étonnera en revanche de cette passion que semble avoir Giacomo Sagripanti pour les morcellements de la partition, pour l’éparpillement de ses motifs, pour la fragmentation des cuivres dans le Trio du troisième mouvement. Ces courts motifs, chez tout autre que Beethoven, sembleraient décousus : le chef les aborde à grands coups de couleurs, moins œuvre pointilliste que toile de Pollock.
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Si l’Allegro final va peut-être un pas trop loin – trop musclé, trop tendu, trop forte –, on retient de cette lecture un amour profond des timbres de l’orchestre. Tout Orchestre de chambre de Paris qu’il soit, l’ensemble regarde de l’autre côté de l’Europe dans sa manière d’intégrer le tragique beethovénien, de faire sien son urgence – pour une partition créée en plein conflit entre l’Autriche, la Bavière et la France, au lendemain de la bataille de Hanau.
Et si cette énergie débordante saisit le public parisien, au paradis avec Beethoven, on se prend à penser qu’en musique en effet, à l’Est est l’Eden.