CINÉ-CONCERT – Laurence Equilbey, en réalisatrice musicale, dirige depuis sa baguette-mégaphone son ensemble sur instruments d’époque Insula orchestra, ainsi qu’un casting de musiciens-acteurs tout droit sortis d’un studio d’enregistrement imaginaire. De quoi croiser les époques, les temporalités et les langages entre arts du spectacle vivant et arts de l’enregistrement, jouant tous de leur rythme et de leur allure, puissamment kinesthésiques, pour faire naître l’émotion.
C’est par une citation du cinéaste Jean Renoir que s’ouvre la note de programme du spectacle : « La musique classique donne beaucoup de rigueur dans l’émotion ». C’est cette idée, aussi puissante que simple, que le dispositif mis en son et en scène par Laurence Equilbey, aidée de Caroline Barbier de Reulle (écriture) et Thomas Baronnet (présentation et vidéo) cherche à concrétiser. Un concert-ciné d’un nouveau genre fait défiler, sur la scène du Grand Théâtre de Provence, des images fixes ou animées, extraites des films dont les bandes originales sont interprétées en live sous leur forme originale et intégrale.
Une musique de cape et d’épée
Thomas Baronnet, Monsieur Cinéma 2.0, présente les différentes parties du spectacle en médiateur culturel irrévérencieux, usant des codes humoristiques et communicationnels propres à la génération tiktok… Peut-être pour aller à la rencontre des publics empêchés ou éloignés, voire indifférents, la soirée, parrainée par l’ASSAMI (amis et mécènes du spectacle vivant) étant retransmise en direct dans des instituts médicaux. L’acteur ponctue son discours de gifs ou de mèmes, micro-extraits de films, dans l’esprit du pastiche et de la dérision, mais également de la référence érudite à un patrimoine cinématographique savant et populaire. Il croise également images fixes et vives, apparaissant d’abord en vidéo puis, crevant l’écran façon Woody Allen, surgissant en chair et en os sur la scène, déguisé en Mozart façon Miloš Forman.
Sur le fond, le dispositif montre que la notoriété artistique est quelque chose de mouvant, qui suit un processus de vases communicants profitant simultanément à la musique et au cinéma. Le populaire vient secourir le confidentiel quand le blockbuster permet de tirer de l’oubli la Sarabande de Haendel. Dans l’autre sens, l’Ancien confère une aura de respectabilité à l’Actuel quand la musique baroque se donne comme la bande originale savante et patrimoniale du septième art.
Plus subtilement encore, le dispositif opère un croisement entre la grande et la petite échelle, l’intégralité et l’extrait choisi. En milieu naturel, dans les salles de cinéma ou à la télévision, le film se donne intégralement, tandis que la musique qui l’accompagne est parcellisée, émiettée. Ici, c’est l’inverse. D’ailleurs, l’écran de projection est de taille relativement restreinte en regard de l’orchestre déployé on stage. Aussi l’énergie immersive est plus du côté de la musique que du cinéma. C’est pour cela sans doute que le programme du concert est structuré par compositeurs, sous lesquels se rangent sagement les films, réunis sans autre cohérence que musicale. La cohérence repose dans la sélection des images qui épousent la temporalité de la musique et non l’inverse.
Casting all-star
Il y a quelque chose, dans ces musiques choisies par les réalisateurs, qui est de l’ordre de la marche, de la retenue, de l’intériorité, de la lenteur cérémonielle, telle une marche de l’empereur (Purcell, Funeral Music of Queen Mary). Elle permet le défilement régulier, la synchronisation des mouvements physiques et émotionnels, tant dans les longs plans-séquence que les montages millimétrés.

- Le froid gèle les notes pourtant résineuses du contre-ténor Fernando Escalona dans son manteau poudré (Purcell, King Arthur, Air du génie du froid), tandis que les deux mandolines de Julien Martineau et Rossmery Angel retiennent la nuit vénitienne dans leur manteau doré (Vivaldi, Concerto pour deux mandolines, Andante).
- David Fray développe sa longue cantilène mozartienne sur un piano d’époque, au son différencié d’un registre à l’autre, autant à l’aise dans le grave qu’à l’étroit dans l’aigu.
- Le clarinettiste (de basset) Vincenzo Casale emplit de sensualité, fragile et touchante, l’espace visuel et acoustique d’Out of Africa, quand la musique enregistrée, sous la forme d’un gramophone, traverse l’écran (Mozart, Concerto pour clarinette, Andante).
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Mais il y a également quelque chose, dans ces musiques choisies par les réalisateurs, qui est de l’ordre de la course, du rythme allant, de l’échappée, àbout de souffle. Les mouvements vifs viennent ici transmettre leurs irrésistibles tempi aux images filmiques. La phalange déploie ses textures transparentes et ses pâtes ardentes (Haendel, Allegro n°11 de Water Music, Mozart, Allegro de la Symphonie n°25). Côté solistes, la virtuosité fait du musicien une baroque-star, jouant de son instrument avec une énergie électrique (Vivaldi, Concerto pour mandoline, Allegro ; Mozart, Marche turque, avec Justin Taylor au clavecin). Et puis, il y a enfin le silence des images projetées, qui permet à l’oreille silencieuse du public de plonger directement dans les eaux profondes du sonore musical.
Demandez le programme !
H. Purcell :
- Funeral Music for the Queen Mary (Orange mécanique)
- The Gordian knot untied, Rondeau-Menuet (Kramer contre Kramer)
- Abdelazer, Rondeau (Moonrise Kingdom, Orgueil et préjugés)
- King Arthur, Air du génie du froid (Molière, À nos amours, Le loup de Wall Street)
- Funeral Music for the Queen Mary, Canzone
J. Pachelbel :
- Canon et Gigue (Ordinary people, Asteroid City, La Proposition)
A. Vivaldi :
- Il Giustino, Vedrò con mio diletto (Lovers, Hope)
- Concerto pour deux mandolines, Andante (Vidocq, While We’re Young)
- Concerto pour mandoline, Allegro (La mariée était en noir, L’Enfant sauvage)
- Nisi Dominus, Cum dederit et Sicut erat (Divines, Dheepan, Dogville, Spectre)
J.S. Bach :
- Suite pour orchestre n°3, Aria (Seven)
- Concerto pour clavecin n°5, Adagio (Valse avec Bachir)
G.F. Haendel :
- Solomon, Arrivée de la Reine de Saba (The Social Network, Quatre mariages et un enterrement)
- Suite pour clavecin n°4, Sarabande et Gigue (Barry Lindon)
- Water Music, Allegro n°11 (Le cercle des poètes disparus)
W.A. Mozart :
- Symphonie n°25, Allegro (Amadeus, Roméo + Juliette, Irréductible)
- Concerto pour piano n°21, Andante (Elvira Madigan, Le Goût des autres, Toy Story 4)
- Sonate pour piano K.331, Marche turque (The Truman Show, Rocketman)
- Concerto pour piano n°23, Adagio (L’Incompris, La reine des pommes)
- Concerto pour clarinette, Adagio (Out of Africa, Wasabi, La Vie d’Adèle)
- Les Noces de Figaro, Marche (Just Married ou presque)
Georges Delerue :
- Le Grand Choral (La nuit américaine)