La Philharmonie, ça se mérite !

CONCERT – Soirée viennoise, dans tous les sens du terme, pour l’Orchestre de Paris. Avant de s’éclipser pour les fêtes, la bande à Daniel Harding se retrouve autour d’un programme Strauss-Schönberg qui donne au public les saveurs des viennoiseries typiques. Sommet de la soirée, le contre-fa vertigineux de Madame Sabine Devieilhe !

Soir de décembre : les travailleurs, les clients des magasins, les badauds des marchés de Noël et bien sûr les gens qui vont au spectacle convergent tous dans le métro : escaliers encombrés, rames bondées. Enfin la porte de Pantin et la masse de la Philharmonie qui se dresse au loin. Pour la rejoindre, il faut traverser un parvis sombre, et là, où est l’entrée ? Très haut, après de longs escalators. Le hall, les escaliers, les couloirs… sont vastes et fonctionnels, mais les fantômes qui peuplent les opéras pourront-ils un jour s’acclimater à cette froideur ? Heureusement, l’accueil est souriant et il vous guide à bon port, dans la grande salle, immense ventre de baleine où, après ces épreuves, vous vous demandez quelle renaissance vous est promise. 

En attendant, vous lisez dans le programme de salle les notes musicologiques de grande qualité, signées Chantal Cazaux et Hélène Cao, puis la liste des musiciens, bonne pratique qui rappelle qu’un orchestre est à la fois un collectif et une somme d’individualités. 104 noms au total, avec des astérisques qui signalent 17 « supplémentaires ».

Strauss : légère ivresse

Noir, entrée de l’orchestre, du premier violon solo (lui aussi invité) Mohamed Hiber, et début d’une première partie un peu courte (25 minutes), avec l’ouverture de la Chauve-Souris. Comme Pelléas et Mélisande le fera tout à l’heure, un orchestre seul retrace des scènes théâtrales. Il le fait avec couleurs, classe – magnifique solo de hautbois – et conviction. Dans Sang viennois, qui fait suite, les grands et les petits rubatos viennois qui nous régalent lors des concerts du Nouvel An ne sont pas toujours là, mais la formule magique des valses de Strauss, une alchimie entre musique populaire et raffinement qui souvent se joue sur le fil du rasoir, est bien respectée. 

Pour la troisième et dernière valse, Frülingstimmen, Voix du Printemps, dans sa version chantée rarement donnée, le chef et l’orchestre se font chambristes, accompagnateurs délicats. C’est un véritable air de concert, dont les paroles convoquent l’alouette, le ciel bleu, le vent de la rosée, l’amour et bien sûr le rossignol, illustré et éclipsé par Sabine Devieilhe. Peu importe que le texte ne soit pas toujours intelligible, elle est souveraine, comme l’aisance et la rondeur de son contre-fa final sans façon en témoignent : une ivresse.

Schönberg : théâtre sans paroles

Changement total de climat pour la seconde partie : c’est dans une forêt sombre et menaçante que nous emmène le Pelléas et Mélisande de Schoenberg. Fasciné comme Debussy, Fauré et Sibélius par la pièce de Maeterlinck, il a choisi d’en faire un « opéra muet », où les parties vocales auraient été supprimées. Ce choix a quelque évidence : pour révéler les symboles et le sous-texte, pour dépasser les apparences et accéder aux tréfonds d’individus déchirés, ne donner la parole qu’à la musique.  

En 1902-1903, Schoenberg s’inscrit encore dans la tradition romantique : ce poème symphonique géant en quatre parties enchaînées, de forme et d’écriture très compliquées, représente une sorte de climax du courant wagnéro-straussien. Avec un effectif imposant et durant 45 minutes, il pousse dans ses derniers retranchements le langage post-romantique. Des leitmotiv correspondent aux personnages de la pièce, les parties et les changements de climat à ses scènes ou à ses péripéties. D’énormes fortissimos ponctuent le drame, mais aussi nous inquiètent : ne vont-ils pas rendre sourds ces magnifiques musiciens ? 

Il faut bien le reconnaître, une lassitude s’installe sournoisement. Il a manqué à cette exécution la clarté et la tension dramatique qui, dans les enregistrements de Pierre Boulez, ravivent sans cesse lattention. Daniel Harding y a peut-être sa part de responsabilité, mais le principal coupable se nomme Schoenberg. En dépit de l’acoustique parfaite, le nombre de parties et la complexité harmonique, contrapuntique et formelle se heurtent aux limites de notre audition : par exemple, même avec quatre harpes au lieu des deux prévues par la partition, on ne les entend guère. On en vient à penser que Schoenberg lui-même en avait conscience, puisque peu après, il choisissait, avec Pierrot lunaire, un tout autre chemin. En confrontant cette surcharge à la légèreté de Strauss, le programme voulait-il nous inviter à cette réflexion ? 

À lire également : Schönberg, Orchestre de Paris : après les huîtres du Réveillon, les perles du demi-ton !

Quoiqu’il en soit, jouer ce Pelléas et Mélisande représente un exploit, tant pour l’orchestre que pour le chef. Ce soir-là, l’engagement de Daniel Harding et celui de chaque musicien étaient manifestes, tandis que sur scène comme dans la salle, la concentration et l’écoute régnaient. De cette aventure intense vécue ensemble, un succès mérité a été le point d’orgue. 

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