CINÉ-CONCERT – On arrête pas le progrès ! Grâce à la technologie moderne, un orchestre national est enfin capable de donner Les Parapluies de Cherbourg, film intégralement chanté, en ciné-concert ! Coup de bol, c’est passé à Bordeaux, et on y était !
Un ciné-concert Jacques Demy ? Comment on y avait pas pensé avant ? Comme d’habitude à ce genre de question la réponse est simple : on y a pensé bien sûr, on en a rêvé même, mais on savait pas faire… Oui, parce que la musique de Michel Legrand, comme le disait son partenaire Jacques Demy, accompagne des films « en-chantés ». Comprenez : des films où ça chante du début à la fin. Aucun dialogue parlé dans les Parapluies de Cherbourg, ce qui pose un petit problème pour jouer la bande-son, si on réfléchit bien… Il aura fallu attendre qu’on invente un moyen de séparer les pistes instrumentales et vocales, pour garder les jolis brins de voix de Danielle Licari, José Bartel et tout ce monde de doubleurs-chanteurs. Parce que si vous n’aviez pas remarqué, ce ne sont ni Catherine Deneuve ni Nino Castelnuovo qui chantent dans le film… Premier scoop !

Comme à l’opéra
Nous voilà donc, comme à l’opéra, avec les solistes sur le plateau (à ceci-près qu’il est vertical celui-là), et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dessous, les deux réunis dans les même enceintes crachant la nostalgie d’une musique qui, 60 ans après, garde son joli brin d’éternité. Comme à l’Opéra, vous dites ?
Oui, comme à l’opéra. Le générique de début fait ici office d’ouverture : on y croise les thèmes qui inonderont de larmes le film entier, on y annonce les personnages, et on y plante le décor. Ici, un quai de Cherbourg vu d’en haut, rincé par la pluie qui, pour ceux qui ont déjà vu le film, pourrait bien tomber directement des yeux des 1000 spectateurs de l’auditorium de Bordeaux, plein à craquer.
Demy-mesure ?
Comme à l’Opéra, la mission de la musique est d’accompagner. Sauf que voilà : les musiciens de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, complétés par une section rythmique et des solistes ayant déjà travaillé avec le grand Michel, sont tellement heureux de pouvoir enfin jouer Les Parapluies de Cherbourg qu’ils se lâchent un peu. La section de cuivre pêchue à souhait couvre à peine les premiers dialogues. Mais on leur en veut pas, au contraire : on adore ! Et puis ça nous laisse le temps de nous faire au style…
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Petits mouchoirs
Oui parce que, comme à l’Opéra, dans les Parapluies de Cherbourg, TOUT est chanté. Le ou la néophyte a donc besoin d’un petit quart d’heure d’adaptation pour dominer ses petits gloussements intérieurs quand, sur une ligne chaloupée digne du Scat-Man, le patron de Guy lui demande « vérifier l’allumage de la Mercredes de Monsieur ». Ça fait le même effet qu’une Reine de la Nuit pour la première fois.
Et puis surtout, comme à l’opéra, la musique jouée en direct est un catalyseur d’émotion. Une vibration puissante, incontournable et envahissante s’empare des cœurs et des corps pour décupler l’effet de cette histoire qui, bien que banale pour les années 1960 (un jeune conscrit doit abandonner son amour de jeune femme pour partir en Algérie, et ne la retrouve pas à son retour), n’a rien à envier aux Bohème et autres Orphée de notre bon vieil répertoire traditionnel. Comme un Opéra, Les Parapluies de Cherbourg ont un peu vieilli mais, comme un opéra, les voilà éternels…