RÉCITAL – Le jeune pianiste Sélim Mazari se produisait jeudi 16 janvier à l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton dans un programme Beethoven/Enesco/Prokoviev des plus intéressants.
Il est de la même génération qu’Alexandre Kantorov, Tanguy de Williencourt ou Gaspard Dehaene, ses condisciples au Conservatoire de Paris. Pour son récital à la Fondation Louis Vuitton, Sélim Mazari, 24 ans, consacrait la première partie de son récital au grand Ludwig, écho à un disque fraîchement sorti chez Mirare. Son choix ? Les douze Variations sur le ballet Das Waldmädchen (la Fille de la Forêt), œuvre d’un Beethoven… de 26 ans !
Beethoven brode sur une partition de Paul Wranitzky, élève de Haydn, proche de Mozart et directeur des orchestres de la cour impériale. Une jolie danse russe, toute emplie de tendresse expressive, avec ses cassures rythmiques et mélodiques, sert de thème pour une série de variations tout à fait plaisantes et, sans vain mot, variées. Avec une belle expression musicale et pianistique, Mazari sait rendre avec pertinence une rigueur d’exécution nécessaire, héritière de l’enseignement de Haydn, presque à la manière d’un joueur de clavecin, tout en mettant en valeur les contrastes de nuances et de dynamiques.
Selim Mazari poursuit son tête-à-tête avec Beethoven dans les Variations opus 35, sur un thème du ballet Les Créatures de Prométhée. Composées en 1802, alors que Beethoven a 32 ans, elles serviront de base à sa 3ème symphonie Eroïca. Le propos prend ici de l’ampleur et il faut une attitude assez héroïque, voire athlétique, pour le maîtriser, ce que Sélim Mazari fait avec brio, relevant le défi de combiner précision et lâcher-prise.
Le jeune pianiste laisse Beethoven et propose, en deuxième partie de programme, une belle découverte avec la Toccata et la Pavane de Georges Enesco, composées en 1903 pour un concours de composition organisé par la revue Musica… avec Vincent d’Indy et Claude Debussy dans le jury ! À nouveau Mazari sut se faire interprète des volontés du compositeur, en donnant à entendre une Toccata énergique et maîtrisée, suivie d’une Pavane tout à fait expressive et sensuelle.
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Pour la conclusion de ce récital, Mazari ose une œuvre peu jouée : la Sixième sonate pour piano de Serge Prokoviev, composée en 1939-40. On y perçoit les tourments intérieurs du compositeur, face à un monde sur le point de chavirer. La partition est traversée de deux grands sentiments : la violence générée par la toute-puissance industrielle de ce début de 20e siècle et la nostalgie d’un bonheur perdu. Cela se traduit musicalement par des scansions d’accords/agrégats jouées dans le fond des touches, alternant avec l’expression d’une tendresse à vous tirer les larmes. Sélim Mazari y déployât une telle aisance d’exécution qu’on ne pouvait se douter qu’il la donnait pour la première fois en concert !
Le jeune pianiste sera à l’affiche de La Folle journée de Nantes consacrée à Beethoven. On pourra également le retrouver le 22 mars à l’Auditorium de Radio France, où il prendra part à l’intégrale des sonates de Beethoven, parrainée par François-Frédéric Guy. L’école du piano français se porte comme un charme !