INTERVIEW – A l’occasion de la sortie en salles du remake de West Side Story par le réalisateur Steven Spielberg, rencontre avec le compositeur David Newman, qui en a arrangé la musique.
On l’affirme sans hésiter : le remake de la comédie musicale West Side Story par Steven Spielberg, sorti en salles le 8 décembre 2021, mérite absolument d’être vu. Y compris par celles et ceux qui considèrent le film de Robert Wise et Jérôme Robbins, sorti en 1961, comme un immense chef-d’œuvre.
Le point de vue adopté par le réalisateur d’Indiana Jones et des Dents de la mer est radicalement différent de celui de la pièce originale, montée à Broadway, par Leonard Bernstein, en 1957. Pourtant, il en est parfaitement respectueux.
On rappelle l’histoire : deux bandes rivales, les Jets (le gang des Irlandais, immigrés de longue date) et les Sharks (le gang des Portoricains, d’immigration récente) s’affrontent pour la possession des quartiers du West Side de New York. Maria, la sœur de Bernardo, le chef des Sharks et Tony, le fondateur des Jets, tombent amoureux. Mais la haine entre les deux clans ne fait pas bon ménage avec leur idylle naissante.
Classique de la comédie musicale
Très rapidement, ce Roméo et Juliette des années 1950 est devenu un classique de la comédie musicale. Son adaptation hollywoodienne remporte dix Oscars et s’érige en modèle d’adaptation d’une œuvre scénique à l’écran.
Alors, lorsque Steven Spielberg en propose le remake, immédiatement, la toile s’enflamme : comment peut-on toucher à ce classique, ce chef-d’œuvre indépassable ?
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Radicalement différent, sans la théâtralité et l’onirisme du film de Robert Wise, cette nouvelle version est une histoire avant tout réaliste, dans laquelle la musique fait partie intégrante de l’action et est filmée comme un personnage et non comme un moment « de pause » dans l’action. Wise filmait la plus belle des comédies musicales, Spielberg filme une histoire de chair et de sang.
Pour mieux comprendre le travail sur le film et sur la musique originale, nous avons interrogé David Newman, qui en a signé les arrangements musicaux. Le compositeur reconnu à Hollywood (Anastasia, L’Age de glace…) est issu d’une famille de musiciens illustres d’Hollywood. Son père, Alfred Newman est une légende de la musique de film des années 30 aux années 60. Il est celui qui a composé le si célèbre générique du 20th Century Fox. Son frère, Thomas Newman est l’auteur des musiques des Evadés, Skyfall, American Beauty ou encore récemment 1917.
Wise filmait la plus belle des comédies musicales, Spielberg filme une histoire de chair et de sang.
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En quoi a consisté votre travail sur la musique du remake de West Side Story ?
David Newman : Nous nous sommes servis de l’orchestration originale de Broadway comme base : cette dernière est beaucoup plus légère que la réorchestration réalisée pour le film de 1961. Nous ne voulions pas « mettre à jour, réorganiser, réinventer » la musique de West Side Story. Elle est intemporelle. Cependant, il y avait beaucoup à faire pour accommoder le film avec la musique. Dans son arrangement, nous avons essayé d’être aussi subtils et respectueux que possible, pour que cela semble authentique et homogène. Je pense que nous avons réussi.
Comment s’est passé l’enregistrement de la musique et le processus de synchronisation avec les images ? On a vraiment l’impression qu’il ne s’agit pas de playback à l’écran.
Nous avons d’abord tout pré-enregistré. Le réalisme du chant à l’image est dû au travail réalisé de David Channing (coach vocal), au moment du processus d’editing, mais aussi à l’énorme travail et à la capacité des acteurs de jouer cela. Il faut préciser que les capacités technologiques actuelles permettent de rendre au final tout ceci très réaliste.
Quel intérêt a porté Steven Spielberg à la musique ?
Spielberg a été impliqué dans chaque aspect des parties musicales, qu’il a entièrement supervisées. C’est lui, avec Tony Kushner, (le scénariste) qui a également décidé l’ajout d’une chanson populaire (La Boriquena), chantée par les Sharks au début du film. Il a une maitrise absolue de son art et il sait exactement ce qu’il veut voir à l’écran, visuellement et musicalement.
Pourquoi avoir collaboré avec deux orchestres différents pour enregistrer la musique (le New York Philharmonic et le Los Angeles Philharmonic) ?
La raison de la présence de ces deux orchestres est le Covid. Nous n’avions pas terminé l’enregistrement lorsque le confinement a été annoncé. Nous pensions que cela n’allait durer que très peu de temps mais comme vous le savez, cela n’a pas été le cas ! Nous avons donc dû terminer l’enregistrement avec le Los Angeles Philharmonic, l’orchestre de Gustavo Dudamel. C’est un très grand professionnel, et ils ont été absolument fantastiques !
L’ordre des chansons est différente de celui du film de 1961 mais semble plus fidèle à la partition de Broadway…
En effet, l’ordre des chansons a été largement modifié dans la version de 1961, par rapport à la version originale, ce qui laisse le champ libre aux réalisateurs qui veulent avoir leur propre vision. Nous avons respecté par exemple la place de I Feel Pretty, qui se trouve après la scène de bataille dans la version Broadway. En revanche, nous avons choisi de mettre Gee, Officer Krupke plus tôt : cette chanson vaudeville et très légère n’arrive qu’au second acte dans la version d’origine.
Votre père, Alfred Newman, est l’un des plus grands compositeurs de l’âge d’or d’Hollywood. Quel a été votre rapport à la musique de film et à ses propres œuvres ? Comment cela a influencé votre choix de carrière ?
Mon père est mon héros ultime. Ses talents de compositeur, de chef d’orchestre et (peut-être aussi important) d’administrateur n’ont pas d’équivalent. J’ai eu une enfance heureuse dans le West Side, à Los Angeles, et la musique a bien sûr pris une part importante dans ma vie. Mais cela n’a jamais été sous la pression, ni la contrainte. J’y suis venu de mon plein gré. Mon père est décédé lorsque j’avais 15 ans. Je l’admire tellement, encore plus maintenant. L’orchestre de la 20th Century Fox qu’il a fondé était le meilleur et n’avait aucun rival : c’était d’une qualité exceptionnelle.