DISQUE – Le pianiste Gabriel Stern vient d’enregistrer chez Mirare les Douze études d’exécution transcendante de Franz Liszt. Un véritable sommet pianistique, gravi avec aisance et brillance pour ce jeune musicien ô combien prometteur.
Transcendance : (du latin transcendere, surpasser) dépasser le domaine de la connaissance rationnelle, selon la définition du Larousse. Voilà ce à quoi prétendent les Douze études d’exécution transcendantes de Franz Liszt : être capable, en les interprétant, d’aller au-delà de soi-même, au-delà de ses limites, tant physiques que mentales.
Autant dire que rares sont les pianistes qui y parviennent. Gabriel Stern fait partie de ceux-là.
Avec aisance, brillance – et même détente ! -, il enchaîne ces études, diaboliques pourtant de difficulté. Le geste est large et la dynamique précise, le tout dans une belle logique d’ensemble.
Gabriel Stern nous avait déjà impressionné en les donnant en concert au festival de La Roque d’Anthéron, à l’été 2020. La version discographique est plus mûre et réfléchie, la performance athlétique laissant davantage parler la profondeur musicale.
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D’une traite
Nous vous conseillons fortement d’écouter ce disque d’une traite, confortablement installé et livret à la main. Vous pourrez ainsi apprécier la hardiesse du Preludio, les octaves décalées du Molto vivace, la beauté poignante de Paysage, qui demande à la fois une extrême extension des doigts et un legato savamment dosé.
Ou encore Mazeppa, avec ses tierces précises et ses larges accords, suivie de Feux follets, une des études les plus célèbres, toute en demi-tons, qui demanderait quatre mains au lieu de deux. Et en contraste complet, la profondeur grave, « dans les touches », de Vision qui atteint des sommets d’accords arpégés en tierces et sixtes, mais également Eroica qui, si Preludio faisait penser à un prélude pour orgue, revendique, elle, un côté toccata, avec sa largesse et ses effets de sonorités variés.
Toujours plus fort dans l’effort, Wilde Jagd (chasse sauvage) au tempo Presto furioso -qu’on pourrait rebaptiser Fast and Furious !- est à la fois déferlement pianistique et récit fantasmagorique, sans aucun répit.
Après cette quasi-surenchère sonore, arrive enfin un moment de récupération, avec la 9ème étude, Ricordanza (Souvenir). Récupération physique, certes, mais pas stylistique, tant le lyrisme et la sensibilité doivent cheminer ensemble.
La 10ème, simplement nommée Allegro agitato molto (rapide et assez agité) demande à nouveau une implication totale de son interprète, avant les deux dernières études, extraordinaires de poésie : Harmonies du soir et Chasse-neige.
Avec aisance, brillance et détente, Gabriel Stern enchaîne ces études, diaboliques pourtant de difficulté
Ce marathon pianistique, ce défi représenté par ces Douze études d’exécution transcendante de Franz Liszt, Gabriel Stern sait nous le rendre, avec la modestie des vrais grands, l’humilité de l’artisan devant son ouvrage, et on ressort ému de cette écoute.
Et pour finir sur un clin d’œil, ces études, dont la dernière version date de 1852, sont dédicacées… à Carl Czerny (1791-1857), bête noire de nombreux apprentis-pianistes, et qui fut le professeur de Liszt !
C’est pour qui
- Ceux qui attendaient un successeur à Jorge Bolet ou Leslie Howard, entendez par là quelqu’un sachant jouer toute la musique pour piano de Liszt
- Les amoureux du grand piano romantique
- Les cœurs d’artichaut qui aiment rouler des mécaniques
Pourquoi on aime
- Parce que le talent partagé, c’est beau
- La perfection à tous les niveaux dans ce disque : l’interprétation mais aussi la prise de son, l’équilibrage sonore, l’accord du piano, sa précision dans la réponse; l’acoustique, le climat général
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