COMPTE-RENDU – En ce mois de mars, le chœur Accentus, accompagné par Insula Orchestra et dirigé par sa fondatrice, Laurence Équilbey, fête ses 30 ans. Pour l’occasion, une tournée de concert, consacrée à Mendelssohn, a fait étape à la Philharmonie de Paris. Nous y étions.
Un concert à 97% constitué d’oeuvres de Mendelssohn, hormis le Da schrien alle (‘Alors ils crièrent tous’) de Wolfgang Rihm, d’une durée de 3 minutes, voilà qui n’est pas courant. Pour les 30 ans d’Accentus et de la part de Laurence Équilbey, on se serait plutôt attendus à un programme mêlant musique classique et électronique, comme dans l’album Private Domain, ou réarrangeant des incontournables du répertoire pour chœur et orchestre, comme ce fut le cas avec les album Transcriptions I et Transcriptions II. Mais cela aurait été sans compter sur l’effet de surprise que Laurence Équilbey aime et sait ménager.
Vienne au chœur
Pendant ses études musicales à Vienne, sa participation au Arnold Schönberg Chor lui fait découvrir le grand répertoire pour chœur, peu répandu en France. De retour à Paris, elle fonde le chœur de chambre Accentus, une formation professionnelle capable de rivaliser, par la plénitude de sa palette vocale, avec les meilleurs ensembles suédois ou anglo-saxons. Accentus rassemble au départ une trentaine de jeunes chanteurs avides d’interpréter les chefs-d’œuvre du répertoire a cappella des XIX e et XX e siècles, de Franz Schubert à Arnold Schönberg, de Richard Strauss à Francis Poulenc.
Mendelssohn… fils de Bach
Cet ADN du chœur de chambre Accentus a été réaffirmé avec force au cours de ce concert-anniversaire consacré à la musique pour chœur et orchestre de Felix Mendelssohn. Le programme était extrêmement bien pensé et bâti, avec une « sacrée » première partie : la Cantate Vom Himmel hoch (‘Du haut du ciel’), suivie de deux extraits de l’Oratorio inachevé Christus, au sein desquels se sont glissés le Motet a cappella Nunc dimittis (‘Maintenant, ô Maître souverain ») et le Da schrien alle, toujours a cappella, de Wolfgang Rihm, avant la court hymne a cappella Am Charfreitage (‘Au vendredi Saint’).
Naissance…
Si la Cantate Vom Himmel hoch s’inscrit dans un héritage liturgique protestant issu en droite ligne de la musique de Jean-Sébastien Bach, il en va tout autrement de l’Oratorio, hélas inachevé, Christus. Là, le figuralisme triomphe. La musique se fait caméléon, pour épouser au mieux les intentions du texte. Les moyens musicaux sont subtils, variés et semblent couler de source. Pour Die Geburt Christi (‘La naissance du Christ’), on suit, comme dans un comte des mille et une nuits, les tribulations des mages à la recherche d’un nouveau-né un peu particulier. Le Motet Nunc Dimittis est dans la même veine. Plus sobre dans l’utilisation des moyens musicaux (chœur a cappella et quatuor de soliste), il permet un déploiement superbe du Cantique de Siméon, vieux sage qui dit, à la vue de cet enfant pas comme les autres qui est présenté au temple de Jérusalem, « maintenant, Seigneur, tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix ».
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Si on dénotait une certaine tension dans l’interprétation de la cantate Vom Himmel hoch, sans doute due à l’enjeu du concert, la beauté musicale s’est vraiment installée avec le Die Geburt Christi : lignes musicales magnifiquement sculptées par l’orchestre et le chœur, beau plateau de solistes avec la soprano Hélène Carpentier, le ténor Stanislas de Barbeyrac, le baryton Florian Sempey et le basse (membre du choeur) Arnaud Richard, direction inspirée. Quant au Nunc Dimittis, il a été l’occasion pour Accentus, Laurence Équilbey et les solistes Hélène Carpentier, Hilary Summers, Stanislas de Barbeyrac et Florian Sempey, de rappeler la puissance d’interprétation et le talent de ce chœur.
…et mort
Puis, sans transition, le Da Schrien alle, de Wolfang Rihm, par le chœur seul, tout en texte parlé, voire invectivé, pour basculer vers la fin de la vie du Christ, avec le Das Leiden Christi (‘la Passion du Christ’), de Mendelssohn. Chez ce dernier comme chez Rihm, la violence de la foule qui appelle au sang et à la crucifixion est exprimée avec véhémence et, de nouveau, rendue au mieux par les interprètes présents. L’hymne Am Charfreitage, a cappella par le chœur seul, vient conclure en majesté cette première partie.
La première nuit de Walpurgis, en deuxième partie
Après le sacré, le païen, avec Die erste Walpurgisnacht et son faux sabbat, en deuxième partie de ce concert. Baptisée ‘cantate profane’, elle raconte l’histoire de Chrétiens rigoristes terrorisés par des païens mimant une fausse scène de sabbat, pour mieux les prendre à leur propre jeu, les dits-païens emmenés par un druide manipulateur et roublard. Sur un texte de Goethe, cette cantate profane pratique le second degré avec un talent consommé et on ne boude pas son plaisir à voir un Florian Sempey en pleine forme figurer ce druide roublard, auquel ne manquaient que la canne, le manteau et la barbe de Gandalf ! De nouveau, les effectifs instrumental et vocaux sont au top, et on goûte les subtilités musicales de cette histoire au délicieux charme absurde, que Mendelssohn orchestre à merveille.
Alors, merci à Accentus et Laurence Équilbey de nous avoir donné à entendre ces magnifiques œuvres de Mendelssohn, si rarement données et pourtant splendides, bon anniversaire et longue vie !