CONCERT – Le Consort, accompagné de la mezzo-soprano Eva Zaïcik, explore (notamment) des répertoires méconnus de compositrices méconnues, le sourire aux lèvres.
Musique de chambre dans un salon
« Ca fait 7 ans qu’on joue ensemble, mais une chose ne change pas : on fait toujours des programmes trop longs », explique Justin Taylor, le claveciniste du Consort, avant de s’élancer dans le dernier morceau (avant le bis, bien entendu) de ce concert de clôture du cycle « Femmes compositrices, une plume pour seule arme » du Musée de l’armée dont la saison musicale se tient aux Invalides. Cela explique les débats qui animent les musiciens quelques minutes avant, les uns proposant de couper une pièce, les autres trouvant cela dommage. La pièce aura finalement été jouée.
Mais ils sont comme ça, les musiciens du Consort. Ils discutent comme dans leur salon, débriefent du morceau achevé, se chambrent sur les explications apportées au public, bien loin de l’image stricte et figée que renvoient parfois les concerts de musique classique. Même pendant qu’ils jouent, ils se regardent, se sourient, rient même, comme en réaction à des « private jokes » musicales et l’on se prend à imaginer le souvenir d’un fou rire ayant marqué le travail de répétition sur le passage joué.
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Le club des cinq
Ils sont cinq complices. Théotime Langlois de Swarte, qui débutait récemment une carrière de chef d’orchestre à l’Opéra Comique, joue de son violon la tête baissée, les yeux perdus sous ses mèches de cheveux. Il ressort par le blanc de ses baskets et de sa chemise (qu’il a sans doute repassée lui-même) sortie de son pantalon, au milieu des couleurs sombres de ses collègues. A côté de lui, Sophie de Bardonnèche, enceinte jusqu’au cou, joue de son violon la tête relevée, prenant des postures de rock star. Les violons de ces deux-là se répondent, se complètent et se rejoignent avec une complicité évidente.
Justin Taylor est plus dans un rôle d’accompagnateur avec son clavecin qui produit une sorte de pétillement sonore : il en joue de biais, orienté vers ses partenaires pour ne rien manquer de leurs impulsions, son regard passant de l’un à l’autre, offrant une moue bienveillante à ceux qui croisent son regard.
Hanna Salzenstein semble la plus sage, concentrée sur son violoncelle. Lorsqu’elle joue, elle semble danser avec son instrument, comme dans une sorte de tango assis. Louise Pierrard, enfin, joue de sa viole de gambe avec un certain détachement et une élégance à toute épreuve.
Comme dans les meilleures soirées entre amis, il y a pour l’occasion une invitée, certes suffisamment intégrée au groupe pour avoir déjà enregistré un disque avec lui. La mezzo-soprano Eva Zaïcik intervient pour trois pièces du programme (plus le bis), de sa voix ferme et veloutée. Elle détache chaque syllabe, laissant la réverbération de la cathédrale apporter le liant.
Non mais sérieux…
Ils sembleraient presque dilettantes s’ils ne jouaient avec autant de virtuosité et de précision. Leur interprétation se fait délicate, vive, voire espiègle, dans une musicalité exacerbée. D’ailleurs, le programme lui-même est construit avec soin : s’ils s’amusent de jouer du Vivaldi (qui est bien un homme, précisent-ils) dans un concert dédié aux compositrices, ils exposent avant chaque pièce les raisons pour lesquelles ils l’ont choisie, expliquant leur travail musicologique effectué en bibliothèque pour redécouvrir des compositrices rares, telles qu’Isabella Leonarda, Barbara Strozzi ou Maria Teresa Agnesi. De fait, aucun de ces morceaux ne manque d’intérêt.
Un tel concert ne peut donc, bien sûr, se terminer sans un bis : il s’agira d’un air de Sesto dans Jules César de Haendel, « L’aure che spira ». Cette fois, Eva Zaïcik ne rigole pas, toute au désespoir de son personnage. Mais la moue est brève : les applaudissements enthousiastes du public résonnant sous les voutes de la cathédrale, les sourires reviennent bien vite sur les visages.