COMPTE-RENDU : A la Halle aux Grains, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse clôt sa saison symphonique par la présentation de deux œuvres parmi les plus populaires de la musique savante, sous la direction de son ancien directeur musical Tugan Sokhiev et en compagnie de la star du piano autrichien Rudolf Buchbinder.
Un programme (presque) aussi attendu que le prochain James Cameron
Œuvres fameuses de compositeurs encore plus fameux, le Concerto pour piano n° 5 de Beethoven et la Symphonie n°5 de Mahler sont respectivement à la musique concertante et symphonique ce que le dernier Marvel est au cinéma : une certitude de remplir les salles, de faire plaisir autant au public qu’aux musiciens et d’un grand spectacle plein de couleurs et d’effets. Le spectacle est certes prévisible mais garanti par une recette bien rôdée et les valeurs sûres sur lesquelles il repose. Comme les grosses productions hollywoodiennes, il y a tout de même des interprétations plus ou moins réussies (et même quelques navets). Si le scénario a fait dans notre cas ses preuves depuis plus d’un siècle pour la symphonie voire deux pour le concerto, l’implication et le talent des acteurs sont des facteurs clefs dans l’allumage de l’étincelle artistique qui fait basculer la représentation du classique attendu au moment de pure magie. Le succès de billetterie de ces œuvres ne s’est pas démenti cette fois-ci. Le public est venu en masse assister au dernier concert de la saison symphonique et très peu de places demeurent inoccupées quel que soit les catégories.
Rudolf Buchbinder : le nouvel Usain Bolt
Dès le début du concerto, la dynamique du concert est lancée. Le coup d’envoi par l’orchestre est bien net et le piano enchaine en se fondant parfaitement. Ils restent coordonnés durant les trois mouvements, chacun anticipant ses interventions pour qu’elles tombent parfaitement sur le temps. Ce qui est probablement le fruit du travail de répétions. L’orchestre comme le piano font preuve d’une grande précision et d’une unité sans faille malgré les vifs tempi adoptés. Le jeu de Rudolf Rubincher cumule une vitesse d’exécution impressionnante à une élégance par la délicatesse du toucher. Les différentes ambiances de ce concerto et notamment les contrastes entre les différents mouvements sont incarnés avec efficience grâce au sens de la nuance de l’ensemble des acteurs. La majesté et les influences classiques du premier mouvement (que l’orchestre de Tugan Sokhiev rend bien audibles) cèdent la place à la mélancolie du deuxième avant de revenir à l’entrain du début du troisième puis à ses ambivalences avant le rebond final. Accueilli triomphalement par le public, ce dernier n’obtiendra pas un mais deux rappels du pianiste (chose plutôt rare après un concerto). Le premier est un medley de transcriptions de Johann Strauss (dans lequel on aura entre autres reconnu des extraits du Fledermaus) et le second de Beethoven. Parcourant le clavier aussi vite qu’Usain Bolt la piste du cent mètre, Rudolf Rubincher fascine une nouvelle fois par la rapidité de son exécution où il ne manque pas une seule note.
La cinquième de Mahler par Tugan Sokhiev : les montagnes russes
Tout à fait dans l’air du temps (par son long traitement dans le récent film Tar notamment), la cinquième symphonie de Mahler, qualifiée par ses détracteurs de « fourre-tout » voire d’incohérente anime encore les débats autour de son analyse. L’interprétation qu’en fait l’Orchestre du Capitole n’éclaire pas plus sur le sujet, ce qui est certainement le meilleur des gages qu’il en saisisse et dévoile l’ensemble des aspects sans parti pris excessif. Chacun pourra donc se faire son avis. Tugan Sokhiev prodigue avec netteté les violentes cassures dramatiques sur les douces et longues lignes lyriques, interprétées presque avec lascivité et dans lesquelles s’oublie parfois totalement l’oreille du public, comme dans le decrescendo final de l’Adagietto qui aura pour sûr donné des frissons à certains.
Le jubilé de Tugan Sokhiev
La partition expose autant les solistes de l’orchestre, jouant souvent seuls ou en faibles groupes, que l’unité et la coordination de l’ensemble du vaste effectif qu’elle nécessite. L’Orchestre du Capitole de Toulouse est à la hauteur sur tous ces points, que ce soit les trémolos des violons dans le premier mouvement, la peinture de couleurs variées et alternantes dans le deuxième ou encore les appels des bois et la texture des cuivres dans le dernier. Tugan Sokhiev, qui communique par sa gestuelle et sa mimique tout son engagement dans cette musique aux musiciens fait dans la subtilité mais pas dans la timidité ! Les contrastes de la partition sont très accentués. L’orchestre joue fort et déploie même toute sa puissance lors du fortissimo du cinquième mouvement. Associés à cette puissance volumique, les vifs tempi adoptés renforcent l’efficacité de l’interprétation dans les élans et les interruptions mais conviennent un peu moins à l’Adagietto qui bien que faisant déjà preuve de sensibilité aurait pu comporter plus de respirations.
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C’est donc sur les notes de Mahler que se clôt avec émotion la saison symphonique de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse qui semble être passée aussi vite qu’une ligne de piano interprétée par Buchbinder. Ce concert au programme populaire fait l’unanimité auprès du public venu nombreux. Ce dernier applaudi longuement les musiciens jusqu’à leur départ, bien sûr en hommage à ce concert magistral qui aura rassemblé l’intelligence virtuose de la musique Beethoven au mysticisme de celle de Mahler, mais aussi à cette très belle saison qui s’achève, et enfin à Tugan Sokhiev pour l’ensemble de sa carrière avec l’orchestre ainsi que sa fidélité vis-à-vis du public toulousain.