DANSE – Signes revient à l’Opéra Bastille. Le ballet pour penser le sourire, “premier de tous les signes” est une collaboration à trois têtes : celle de Carolyn Carlson, la chorégraphe, celle de René Aubry, le compositeur et celle désormais disparue d’Olivier Debré, le peintre.
La vue : la peinture
La série des Signes-personnages du peintre Olivier Debré débute en 1945 pour dire son horreurs de la guerre. En 1997 Carolyn Carlson et lui choisissent 7 tableaux issus de cette série. Le peintre pense ensuite les décors, les costumes et les coiffes comme le prolongement de chaque toile et non comme une simple reproduction. Il y insuffle du mouvement, par l’enchaînement des tableaux qui semblent glisser pour sortir de scène mais aussi par l’ajout d’éléments mobiles aux sculptures.

La vue en mouvement : la danse

Carolyn Carlson crée Signes pour l’Opéra de Paris, maison qu’elle connaît bien puisqu’elle y est “étoile chorégraphe” depuis 1974, statut conçu pour elle par Rolf Liebermann. De sa période de direction du groupe de recherches théâtrales de l’Opéra c’est Signes qui est resté dans les mémoires, la plupart des autres créations n’ayant pas été redonnées. Carolyn Carlson est une figure emblématique de la danse moderne et a été élue à l’académie des beaux-arts en 2020.
L’ouïe : la musique
En ce 21 juin, premier jour de l’été et fête de la musique, on retrouve à Bastille une fosse vide. En effet, la partition de René Aubry a été enregistrée lors de la création de Signes. S’il rencontre Carolyn Carlson comme technicien, il devient vite son compositeur attitré. Ensemble à la vie comme à la scène, ils collaborent sur de nombreuses propositions. Carolyn aime donner une idée globale du ballet, son découpage et son ambiance puis elle répète en silence pendant que René élabore une première proposition. Les allers retours sont nombreux : le compositeur regarde et la chorégraphe écoute puis chacun retourne travailler. La partition de Signes a été récompensée d’une Victoire de la musique Classique.
Revue détaillée des 7 tableaux de Signes (Alerte spoiler !)
Chacun des septs tableaux dégage une atmosphère différente. La danse, la musique et les décors changent doucement dans les moments de transition pour accompagner nos sens vers le tableau suivant. L’absence d’applaudissement entre les scènes est la preuve que les transitions font pleinement partie du spectacle.
Tableau I : Signe du sourire.
Dix minutes avant le début de la représentation le rideau se lève pour laisser place
à une première toile d’un visage souriant esquissé en quelques traits noirs. Ce premier plan se révèle ensuite transparent. Dans cette ouverture, tous les personnages sont présent dans des tenues sombres sauf les deux étoiles : Germain Louvet en bleu et Hannah O’Neill
en jaune.
Tableau II : Loire du matin
On plonge ensuite dans l’atmosphère d’un lever de soleil. La musique est calme, les tons sont rouges et Hannah est vêtue d’une robe jaune. Le mouvement de l’eau est repris par les ports de bras de la danseuse mais aussi par les hommes qui se glissent dans les bras ronds des femmes comme des poissons. Quand les notes d’accordéon se font entendre, c’est le début d’une nouvelle ambiance : le jour est maintenant levé et l’on découvre quatre filles sur une balançoire qui miment des sourires avec leurs mains. Enfin Germain apparaît avec des gants de cuisine jaune fluo, une écharpe et un chapeau de la même couleur. Il offre un moment de grâce : il est musical, énergique et dévoile une personnalité séduisante. Il retrouve ensuite Hannah pour un duo suscitant le sourire des spectateurs car les ports de bras ne s’accordent pas.
Tableau III : Monts de Guilin
Ce tableau est comme un rêve, les longs cheveux noirs d’Hannah tranchent avec sa robe claire et elle se glisse avec aisance dans ce registre moderne. Germain apparaît comme le chef d’orchestre de cette musique enregistrée tellement la synchronisation entre ce que l’on entend et ce que l’on voit est précise.
Tableau IV : Les moines de la Baltique
Cette scène tranche avec les précédentes. La passion explose dans un décor rouge et noir. La danse et la musique se font plus puissantes, une voix chante un poème de Carolyn donnant un ton mystique au tableau. Le groupe fait corps et nous emmène rencontrer une tribu lointaine. Le style chorégraphique est aussi différent : on retrouve bien les pieds flex et les genoux pliés en angles droits caractéristiques de la pièce mais quelques pas sont plus inattendus. Les soubresauts seconde en pliant les jambes pendant l’envol sont mémorables. La façon de marcher est marquante ainsi que les sauts se propulsant en avant comme une marche.
Tableau V : L’esprit du bleu
Notre couple d’étoiles s’envole. Les grands jetés d’Hannah semblent suspendus et les bras de Germain deviennent des ailes.
Tableau VI : Les couleurs de Maduraï
À l’arrivée du nouveau décor, on retient notre souffle. Les sculptures immenses se mettent à bouger doucement grâce à des hélices. Le groupe central est captivant. La danse des personnages est précurseuse de ce que l’on voit aujourd’hui sur Tik Tok : les mouvements répétés des bras ne sont pas compliqués mais ils nécessitent une grande précision dans peu d’espace. Là encore la référence au sourire est présente avec les gestes d’une main simulant le sourire en vague. Pour quitter le plateau les danseurs jouent à 1,2,3 Soleil : ils avancent tous dans la même direction en gardant une posture figée et en s’arrêtant plusieurs fois.
Tableau VII : Victoire des Signes
Pour la première fois le plateau semble vide, mais c’est avant l’arrivée des danseurs en noir et blanc qui vont habiter la scène. Hannah est en blanc, Germain en noir et le corps de ballet forme une ronde autour d’eux. On sent que c’est le tableau final car y règne une atmosphère plus légère. Ces rondes peuvent faire penser à un mariage, mais les filles qui marchent côte à côte en se tenant par la tête semblent sortir d’un couvent où Hannah serait la prêtresse. Quand tous s’avancent en ligne puis s’arrêtent alors que la musique jusque là crescendo marque elle aussi une pause on pense que c’est la fin, mais la pièce reprend pour un enchaînement de postures. Cette deuxième fin perd en intensité ce qu’elle gagne en propos. Les deux personnages du début réaparaissent : Hannah en jaune et Germain en bleu.
Les saluts sont pensés dans la continuité de la pièce. Le décor est de nouveau changé, les deux lignes de groupe saluent d’un signe de la main et les deux solistes reviennent en noir et blanc. Le public finit par se lever pour acclamer la chorégraphe amenée par Germain. Si les deux étoiles offrent une très belle prestation, on les reverra avec plaisir dans quelques années pour apporter encore plus de maturité et de charisme aux rôles.