FESTIVAL – Pour fêter les trois décennies de La Grange au lac, Renaud Capuçon, Directeur artistique des Rencontres musicales d’Evian, se présente en concert avec l’Orchestre de chambre de Lausanne dans un programme tout Mozart : deux concertos pour violon et une symphonie.
Test 1, 2
Huit heures battantes, les mélomanes emmagasinés sur les bancs de La Grange au lac attendent avec impatience le début de concert. Le temps passe, mais rien ne se passe, la tension monte (en cette région horlogère). Finalement, c’est le directeur exécutif de La Grange au Lac, Alexandre Hémardinquer, qui brise ce silence gênant. Et au lieu d’annoncer la maladie d’un soliste ou un imprévu fâcheux (comme c’est souvent le cas avec ce type de prise de parole, tant redoutée), il informe le public qu’il sera soumis à une expérience scientifique inouïe, en se prêtant corps et ouïe. Le grand mage de l’acoustique de La Grange, Yaying Xu explique que l’effet de ce test acoustique est futile dans une salle vide, tout en remerciant le public de sa participation. Un ballon sonore projetant un son perçant et à la fréquence plutôt désagréable à l’oreille humaine emplit l’espace à plusieurs reprises. L’auditeur, quant à lui, se contente d’apporter passivement son humble contribution de cobaye au progrès de la science, en étant là tout simplement.
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Double jeu
L’agent double (et même quadruple) Capuçon, Directeur artistique du Festival et de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, soliste et chef, s’attaque à un double défi : jouer et diriger deux concertos de Mozart d’affilée en moins d’une heure et y ajouter une symphonie, le tout en moins de deux heures. Cet exploit doublement important est doublement récompensé pour ses efforts par un public unanime dans ses éloges. Ces concertos à double identité, l’un surnommé le “strasbourgeois” (le n°3, KV 216) et l’autre “turc” (n°5, KV 219) furent écrits à quelques mois d’écart seulement durant la même année 1775. Comme tout bon agent qui se respecte, Capuçon dégaine son arme la plus redoutable : son Guarnerius calibre 1737, ayant autrefois appartenu à Isaac Stern.
Le son se démarque d’emblée par sa largeur et son timbre unique et satiné, le volume allant au-dessus de l’ensemble, créant même une polarité sonore entre ces deux entités. Le phrasé manque quelque peu de relief dans son expressivité, mais sa prestation est rendue avec pleine assurance, sans jamais montrer de faiblesse technique qui ébranlerait son statut de maître souverain du jeu. Le deuxième concerto de la soirée met en avant son jeu leste et hautement rythmique qui se mêle à un lyrisme mélodieux, particulièrement grâce à un legato finement velouté.
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Orchestre en autopilote
À défaut d’être un orchestre en autogestion comme quelques plus grandes phalanges européennes (Berliner ou Wiener Philharmoniker), l’Orchestre de Chambre de Lausanne montre qu’il peut naviguer en autopilote. Les concertos en témoignent, notamment la cohérence du geste et de l’attaque, les nuances et la projection dosée qui se soumet au jeu du soliste. La légèreté du ton immerge l’auditeur dans l’univers mozartien plus que soliste, avec un son chambriste dans lequel les cordes déploient pleinement leur musicalité. Renaud Capuçon dirige l’effectif d’abord à l’archet d’un mouvement plutôt réduit et discret, avant de s’y mettre pleinement et sans retenue de tout son corps après l’entracte. Son geste y est à la fois rigoureux et galant, tel un danseur de ballet valsant avec son buste.
La grâce de sa posture et de sa conduite se transpose dans l’orchestre, dont la délicatesse finit en crescendo dans le deuxième mouvement de cette Symphonie n° 40, avec la mise au net d’une texture polyphonique et un langage harmonique étonnant, audacieux pour l’époque du prodige salzbourgeois, au crépuscule de sa vie.
Le public salue chaleureusement les efforts des musiciens et de Renaud Capuçon qui, malgré une fatigue perceptible, décide de le récompenser par un bis en retour.