VOIX – Le Festival de Rocamadour démarre son édition 2023 avec cinq ensembles vocaux a cappella : La Sportelle, Les Itinérantes, Oriscus, Gesualdo Six et Tenebrae Choir. Pour autant de petits miracles musicaux.
Cour des miracles
Quand on se rend à Rocamadour, plusieurs questions se posent : comment diable Durandal, l’épée du chevalier Roland tué à Roncevaux (à 365 km de là, tout de même), s’est-elle retrouvée fichée dans la falaise, près du sanctuaire ? Comment la cloche de la chapelle voisine fait-elle pour sonner toute seule, spontanément, lorsqu’un marin est sauvé en mer après avoir invoqué la Vierge noire ? Par quel miracle les ensembles vocaux a cappella invités au Festival de Rocamadour impressionnent-ils de la sorte ? Décidément, voilà un lieu bien mystérieux.

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Si les deux premières questions relèvent de la foi (d’autant que la cloche n’a plus sonné seule depuis 1612 !), la réponse à la troisième est analysable. Sur ses trois premières journées, le Festival présente en effet cinq ensembles vocaux a cappella. Il y en a de toutes tailles. Ainsi, Les Itinérantes ne sont que trois pour présenter trois programmes différents. L’ensemble Oriscus (qui a été créé in loco) est à peine plus nombreux, mais ce sont quatre chanteuses qui sont mobilisées pour leur concert Abendmusik (musique du soir). Le nombre d’artistes du Gesualdo Six est inscrit dans son nom. La Sportelle, bébé du Festival, regroupe huit personnes. Quant au Tenebrae Choir, ils sont carrément une vingtaine.

Urbi et orbi
Deux écoles se confrontent : les français et les anglais. Nos amis britanniques ont en effet une tradition du chant a cappella que la qualité de leurs représentants laisse percevoir. Les Gesualdo Six partagent en effet avec Tenebrae une même profondeur des timbres (la basse profonde Owain Park servant d’ailleurs de trait d’union entre les deux), une même puissance expressive (que le répertoire russe présenté par les seconds exalte à merveille), une même expertise dans le travail des équilibres. Mais l’école française n’a pas à rougir. Les voix sont globalement plus claires et plus légères, privilégiant une douceur vaporeuse. Les trois ensembles ont également en commun leur précision dans le tuilage des voix et le même éclat mystique.

Sacrées musiques
Car de mysticisme, ou en tout cas de spiritualité, il en est bien sûr question. Le Festival de Rocamadour est en effet spécialisé dans la musique sacrée : tous ces ensembles y présentent un programme dans ce répertoire, formant ainsi une continuité au fil des concerts. Ainsi, la religieuse allemande Hildegard von Bingen est-elle présente dans les programmes de trois ensembles. C’est aussi l’occasion de tester les acoustiques des églises des environs, et de vérifier que les généreuses résonnances de ces lieux conviennent à merveille au chant a cappella. Les voix se mélangent ainsi en un magma d’autant plus cohérent. Seules Les Itinéraires étrennent un format différent : celui d’un Chemin de croix, ou plutôt d’un chemin de foi, puisqu’en ce 15 août, il n’est nullement question de Passion du Christ, mais plutôt de la Vierge. Munies de leurs lanternes, elles guident de leurs chants la grande cinquantaine de spectateurs présents dans les méandres du chemin gravissant la falaise, à proximité du sanctuaire. Malgré une projection sur le fil, les voix qui s’entremêlent, portent, délicates, dans une ambiance méditative, propice à la spiritualité.
Divin silence
Mais un miracle est forcément fragile. Par ses sonorités, par son jeu avec les résonnances, le chant a cappella joue plus que tout autre genre avec les silences. Les applaudissements y ont donc deux défauts : celui de recouvrir cette évanescente musique muette, et celui de faire brutalement redescendre le public de ses hauteurs spirituelles et de la douce pesanteur dans laquelle cette musique le place. Or, seul le concert de La Sportelle, pour lequel une annonce initiale avait demandé le silence durant l’ensemble de la représentation, aura été épargné. Pour le Chemin de croix des Itinérantes, on aurait même espéré que les artistes s’éloignent dans un silence total, sans le moindre applaudissement (quand bien même ils étaient mérités), pour rester jusqu’au lendemain dans cette concentration évanescente. Pour laisser ce miracle de la voix se poursuivre.

image de Une CC 3.0 Pierre Bona