CONCERT – Le Festival Ravel a démarré à Saint-Jean de Luz avec un concert mettant à l’honneur Camille Saint-Saëns, donné par l’Orchestre des Champs-Elysées et Bertrand Chamayou au piano.
Le Sahara aux portes de l’Espagne
Le mercure affiche 41° tandis que le public déjà en sueur s’installe dans l’Eglise Saint-Jean Baptiste pour entendre l’Orchestre des Champs-Elysées dirigé par Louis Langrée. Le programme débute avec la Pavane pour une Infante Défunte (de chaud ?) de Maurice Ravel, hommage à celle qui s’est mariée dans cette église quelques siècles plus tôt avec le jeune Louis XIV. Les éventails s’interrompent presque devant la poésie de cette oeuvre, mais reprennent bien vite et rythment la musique de leur battement régulier. Bertrand Chamayou, co-directeur du festival, rejoint ensuite la phalange pour emmener le public sur les bords du Nil avec le cinquième Concerto pour piano dit l’Egyptien de Camille Saint-Saëns. La chaleur ambiante ne rend pas l’Orient si dépaysant, mais le piano « extra grand concert Pleyel de 1905 en palissandre de Rio » produit des sons d’une clarté qui rafraichît au moins les oreilles.
Le musicien sait tirer de ce magnifique objet des couleurs très variées, notamment des graves très chaleureux (mais on leur pardonne). Au coeur du concerto, des chants basques se font entendre depuis la rue, ajoutant au folklore de l’oeuvre… Le piano ne prend jamais le pas sur l’orchestre mais se mêle avec grâce et délicatesse aux sonorités précises et douces de l’ensemble, et impose une musicalité à la fois sobre et passionnée. Chamayou impressionne par son énergie, sans parler du fait qu’il porte chemise et veste sans avoir l’air de frémir alors que le public se liquéfie peu à peu. Sous les bravos, il continue à faire voyager les spectateurs avec en bis Les Cloches de Las Palmas, pièce très moderne et poétique composée par Saint-Saëns dans les îles Canaries.
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De la sueur, du St-Saëns, et des larmes…
Après un entracte peu rafraichissant, le public désormais en nage revient malgré tout pour la grande Symphonie n°3 avec orgue, toujours de Camille Saint-Saëns. L’acoustique de ce lieu historique sied mieux aux cordes, particulièrement aux contrebasses, qui, dans une disposition assez différente, se trouvent placées derrière les vents, tandis que les timbales sont à cour, derrière les seconds violons. Les cuivres sont éclatants malgré tout, et les timbales incroyablement sonores et percutantes sans porter atteinte à l’homogénéité du son. L’orgue, tenu par Vincent Warnier, est tout d’abord doux et délicat, puis éclate de puissance, provoquant des frissons fort bienvenus. Le piano (toujours le même) apporte encore plus de fraîcheur et de clarté, emportant le public dans un miroitement cristallin.
Louis Langrée dirige avec beaucoup de poésie, de tendresse et de passion pour cette musique. Son geste est précis, sûr, mais jamais autoritaire. Il laisse aux musiciens une grande liberté, que ce soit les solistes ou l’ensemble. L’exaltation du second mouvement emporte tout sur son passage, coupe le souffle, et finalement la puissance absolue de la musique entraîne les spectateurs qui terminent debout, en transe et en sueur, mais tout sourires et enthousiasme. L’orchestre épuisé trouve malgré tout le courage et l’énergie de finir sur un bis, revenant à Ravel avec La Belle et la Bête extrait de Ma Mère l’Oye. Sous les derniers applaudissements, le chef ouvre ostensiblement son col de chemise en souriant au public, l’air de dire que lui aussi a eu chaud.
Le mercure affiche désormais 27° lorsque le public exsangue retrouve le parvis de l’église, mais la chaleur dans leur âme est bien plus grande, après une si belle et chaude soirée musicale.