AccueilA la UnePromenons-nous dans les bois, pendant que Dom Juan est là

Promenons-nous dans les bois, pendant que Dom Juan est là

COMPTE-RENDU – L’Opéra de Paris ouvre sa saison avec Don Giovanni de Mozart mis en scène par Claus Guth à Bastille. Le plateau unique est une forêt tournante où rode le dangereux séducteur.

Loup y’es-tu ?

« Qui a peut du grand méchant loup ? C’est pas nous, c’est pas nous ! » Alors certes, ce n’est pas du Mozart, loin de là… mais à ceci près, dans l’esprit, les personnages auraient tout à fait pu entonner cette comptine dans cette mise en scène, tant ils prennent un malin plaisir à se faire peur, à se frotter à ce prédateur, à le traquer, à s’accrocher à lui. Ce loup, qui fait tout pour leur faire voir le loup justement, c’est le séducteur-prédateur Don Giovanni, d’autant plus dangereux pourtant dans cette mise en scène où tout se passe dans une forêt obscure dont il a fait son antre. D’autant plus dangereux ici qu’il est une bête blessée : pendant l’ouverture puis à nouveau dans la scène inaugurale de duel avec le Commandeur (redite plutôt redondante), il est blessé d’un coup de pistolet par sa victime. Il est donc condamné d’emblée, le rendant d’autant plus pressé de consommer de la chair fraiche dans les plus grandes quantités. Il faut dire que les « soins » prodigués par Leporello sont tels, qu’on s’étonne de voir ce Dom Juan survivre durant les trois heures du spectacle : son valet ne fait qu’un piètre bandage à ce ventre sanglant et partage avec son maître, en guise de médecine, cannettes de bière, et seringues de drogues dures.

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Vous aussi quand vous regardez un film d’horreur, vous levez les yeux au ciel devant la bêtise des personnages qui font scrupuleusement tout ce qu’il ne faut pas faire (se séparer, rester seul.e dans un coin sombre, tourner en rond, ne pas savoir utiliser les armes à feu qui trainent partout…) ? Et bien vous serez servis avec ce spectacle, et si vous avez tendance à hurler « mais non pas par là ! », alors attention : vous risquez de ne pouvoir vous retenir et d’être expulsé de la salle. Car une chose est sûre, dans cette mise en scène, ils font tout ce qu’il ne faut pas faire. Masetto et Zerlina ont l’idée saugrenue de fêter leurs noces dans cette foret (leurs invités y jouent même à cache-cache avec des lampes torches). Zerlina suit ensuite Don Giovanni qui l’amène sur une balançoire isolée en forêt. Et plus tard elle ne trouve rien de mieux à faire que d’y retourner. Donna Elvira semble avoir la première idée sensée de la soirée quand elle se décide à partir, mais bien sûr elle le fait en attendant seule à l’arrêt de bus isolé à la lisière de cette forêt (où ne passe aucun bus bien entendu). Et bien sûr, la voiture de Donna Anna et Don Ottavio tombe en panne… au milieu de la forêt.

Le « coup de la panne », en pleine forêt… tout un symbole (© Bernd Uhlig – Opéra national de Paris)

De cette forêt sombre, qui tourne sur elle-même, personne ne sort, et ce sont plutôt les victimes qui s’y enfoncent d’elles-mêmes, pour aller se frotter au loup. De quoi montrer la fascination des proies pour le gibier, qu’ils et elles sont toutes prisonnières de leurs désirs (Cosi fan tutte : ainsi font-elles toutes comme le confirmeront Mozart et son librettiste da Ponte dans le troisième opéra de leur trilogie du désir qui commence par Les Noces de Figaro et se poursuit avec Don Giovanni).

L’esprit film d’horreur joue donc à plein, c’est d’ailleurs pour cela que la scène initiale est jouée deux fois : pour que la première soit dans un cercle dans le rideau rappelant un objectif de caméra. Elle est d’ailleurs jouée au ralenti, un processus qui reviendra durant des scènes de tension. Étonnamment, la vidéo pourtant omniprésente dans les mises en scène modernes, pourtant utilisée par le même Claus Guth dans sa Bohème spatiale, la vidéo qui aurait tout à fait correspondu à cette ambiance Blair Witch n’est tout simplement pas utilisée ici. Trop facile, trop évident peut-être…

Bande, Son

Bien entendu, la musique joue aussi à plein pour l’ambiance, et même davantage. Le côté film d’horreur absurde devient avec cette partition et ces interprètes un puissant oxymore de tragédie et de comédie-bouffe. Les accents tragiques sont aussi puissamment rendus que la légèreté des danses et ballades sous la baguette d’Antonello Manacorda. Le chœur reste discret, l’Orchestre est encore un peu rouillé (dans certaines attaques et tenues) en cette première date de la saison (nous verrons si les prochaines prises/dates estompent ces quelques défauts : nous vous rendrons compte du Cast B sur Ôlyrix), mais les mélodies se promènent bien dans les bois, les cuivres, les cordes.

Le casting s’investit pleinement, s’appuyant sur leurs qualités et estompant leurs défauts : la Donna Anna d’Adela Zaharia déploie progressivement son registre complet, Gaëlle Arquez (en Donna Elvira) marque l’intensité du médium mais sert les extrémités. Ben Bliss donne sa vigueur à Don Ottavio. Guilhem Worms montre combien il sait jouer et chanter les faux-méchants en Masetto, tandis que Ying Fang marque la candeur de Zerlina mais pas la gravité qu’elle devrait dans ce contexte scénique.

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Comme il se doit dans un bon opéra d’horreur, ce sont les deux méchants qui tirent leur épingle du jeu (et du chant). Alex Esposito montre combien Leporello doit savoir imiter Don Giovanni (dans un mélange de malsaine admiration/répulsion). Il parachève le parallèle cinématographique d’horreur en se métamorphosant en double « Igor » : à la fois le serviteur du classique Frankenstein et sa parodie dans le Frankenstein junior de Mel Brooks. Enfin et non des moindres, Peter Mattei semble avoir accepté ce rôle avec enthousiasme pour montrer qu’il le maîtrise tellement qu’il peut même le chanter blessé. Son duel face au Commandeur (marmoréen de John Relyea) est un sommet dont devraient s’inspirer les films d’horreur : un face-à-face immobile entre ce vivant déjà mort et ce mort-vivant.
Don Giovanni meurt, et tombe dans la fosse creusée par le Commandeur.
Mais dans les films d’horreur comme dans les opéras : il reviendra !

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