COMPTE-RENDU – Le pianiste anglais Martin James Bartlett se produit au festival toulousain Piano aux Jacobins en proposant un programme transversal, mélangeant les époques, les continents et les ambiances. Il transmet au public une palette d’émotions aussi intenses que variées à la fois sur son clavier et par l’expressivité de son visage.
Joyeuse poésie
On commence le programme avec Rameau, sa Suite en La majeur, suivie de sa Gavotte et six doubles. Le jeu est souple et le toucher délicat et léger. L’interprétation demeure fidèle au style baroque à tel point que l’on s’imagine sans peine le clavecin pour lequel ont été écrite originellement ces œuvres. Le Rondeau de Couperin est interprété avec un phrasé lisible et pertinent. Les tempi y sont relativement lents permettant ainsi d’apprécier chaque note et la poésie du morceau. Les cassures rythmiques sont exécutées tout en maîtrise et le pianiste a l’air de véritablement s’amuser en jouant le morceau. Un peu plus loin dans le programme, les Danses argentines de Ginastera sont interprétées au contraire avec vivacité. Les graves de la main accompagnatrice sont bien marqués et le jeu (trop ?) virtuose nous permettent d’apprécier le moment mais pas de s’évader suffisamment pour s’imaginer sur une piste de danse. Enfin s’il met de la verve dans la Rhapsody in blue de Gershwin, on en cherche souvent les couleurs et il peine à combler à lui tout seul l’absence de l’orchestre. A sa décharge, la transcription pour piano seul est peut-être relativement peu adaptée à cette œuvre et la fatigue commence probablement à se faire sentir en cette fin de programme.
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Je t’aime mélancolie.
C’est dans les pièces les plus subtiles émulsionnant ou alternant les sensibilités que Martin James Bartlett semble le plus exceller. Dès les Barricades mystérieuses de Couperin, Martin James Bartlett nous fait sentir l’ambivalence de ce morceau. La chaleur du toucher est sublimée par une grande douceur dans les notes jouées piano voire pianissimo qui le teinte d’une certaine profondeur poétique. Toujours avec Couperin : dans son tombeau cette fois ! On retrouve la gymnastique des émotions entre les différentes pièces du Tombeau de Couperin de Maurice Ravel dont Martin James Bartlett présente un final brillant, rapide avec des graves fermes et appuyés, de l’élan, une grande agilité et des forte puissants. S’il a prouvé son expertise dans la technique baroque en début de programme, il prend le parti de n’y faire que peu référence dans l’interprétation du Tombeau de Couperin. Dans les trois courts préludes de Gershwin on jongle avec la fermeté et l’articulation du premier, la gravité du deuxième et la dynamique du troisième. Le programme trouve probablement son apogée dans l’Arabesque n°1 de Debussy et la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel. Martin James Bartlett y exprime toute sa sensibilité dans le phrasé et insiste rythmiquement sur la valeur de chaque note. Sur cela, une averse, un tonnerre lointain et la majesté des arcades gothique de la salle capitulaire des Jacobins finissent d’emporter le public dans une grande vague d’agréable mélancolie.
Martin James Bartlett touché et touchant termine son concert après avoir voyagé avec son public dans l’espace, dans le temps et surtout au travers d’un virtuose ascenseur émotionnel. Il se fait applaudir avec vigueur même après le premier allumage des lumières ce qui le fera revenir après deux rappels pour un ultime salut.